Loi Darmanin, une arène médiatique sous cellophane

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I 28.04.23 I Bissai Media

La loi Darmanin cristallise le paradoxe suivant : être au cœur de l’actualité, par la production d’un discours médiatique du gouvernement, sans pour autant donner lieu à un véritable contradictoire sous forme de débat. Nous avons pu saisir précédemment les enjeux théoriques, historiques et empiriques (avec l’opération Wuambushu) il advient désormais de porter un regard sur l’échange d’idées quant au devenir de la législation sur l’immigration en France. Pour se faire nous opérons un rapprochement entre le programme À L’Air Libre par Médiapart (diffusé le 6 décembre 2022) et Quelle Époque sur France Télévisions, Quelle Époque (diffusé le 5 février 2023).

 

La loi Darmanin cristallise le paradoxe suivant : être au cœur de l’actualité, par la production d’un discours médiatique du gouvernement, sans pour autant donner lieu à un véritable contradictoire sous forme de débat. Nous avons pu saisir précédemment les enjeux théoriques, historiques et empiriques (avec l’opération Wuambushu) il advient désormais de porter un regard sur l’échange d’idées quant au devenir de la législation sur l’immigration en France. Pour se faire nous opérons un rapprochement entre le programme À L’Air Libre par Médiapart (diffusé le 6 décembre 2022) et Quelle Époque sur France Télévisions, Quelle Époque (diffusé le 5 février 2023).

 

Anatomie de l’Amalgame

Différents griefs sont imputés à l’image que nous avons de l’asile et l’immigration en France. Les débats médiatiques ont le pouvoir soit de véhiculer davantage de fausses informations par le discours qu’ils produisent, soit de contrer ces dernières. Bchira Ben Nia, déléguée de la CSP75, souligne à ce titre vis-à-vis de la Loi Asile et Immigration l’amalgame souvent présent dans les médias entre OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) et délinquance. En effet le lien de corrélation juridique n’est absolument pas systématique. Ce type d’inexactitude contribue à la génération d’un discours qui associe de facto immigration et criminalité.

Lors du débat de Mediapart Me Julie Gonidec, avocate spécialisée en droit des étrangers, pointe quant à elle du doigt l’utilisation de chiffres contradictoires notamment de la part de la chaîne CNews provoquant une image faussée de ce que représente véritablement la démographie de l’immgration en France.

Elle rappelle d’ailleurs la distinction entre  personne en situation irrégulière et personne en situation régulière dans l’appréhension de la criminalité. Ainsi que le fait que certaines données couvrent uniquement la mise en cause d’une personne étrangère en France, une enquête et non dogmatiquement sa condamnation. Les trois intervenantes du débat insistent sur la réalité matérielle du contrôle de police plus élevé pour les personnes racisées et/ou étrangères. La dénonciation d’un système qui structurellement est producteur de stigmatisation par Me Julie Gonidec s’inscrit dans une « ère de suspicion ». Cette dernière souligne justement que pour les demandeurs d’asile la majorité des personnes sont de nationalité afghane. Ce qui est en contradiction avec l’idée avancée par Marion Maréchal Le Pen qui prétend qu’une infime partie de demandeurs auraient réellement besoin de ce statut. 

L’Aide Médicale Assistée (AME) est remise en question particulièrement lors du débat devant le Sénat. Cette mesure suscite de vifs échanges entre les protagonistes autour du débat sur la Loi Darmanin. Marion Maréchal Le Pen jure que cette aide spécifiquement française est unique en Europe voire même dans le monde. « Le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Espagne et le Portugal ont organisé des modalités d’accès aux soins pour les immigrés irréguliers analogues à ce qui est observé en France. » Malgré  le fact checking de cette information par 20 Minutes, l’extrême droite poursuit la diffusion de cette contrevérité.

La carence en savoir situé

À l’instar de la notion de savoir situé, les débats médiatiques et de manière plus holistique le discours produit dans l’espace public sur la Loi Asile et Immigration excluent les personnes concernées directement par ce changement. Ce manque de diversité médiatique crée nécessairement un décalage entre le réel et la politique d’immigration. 

Le savoir situé, c’est quoi ? 

Le savoir situé, ou connaissance située, est une notion conceptualisée par la biologiste et philosophe féministe Donna Haraway en 1988. Celle-ci s’oppose à l’idée qu’il existe une objectivité scientifique abstraite. La connaissance située suppose de s’interroger sur la position de la personne qui produit la connaissance, sur les limites de sa vision, sur les relations de pouvoir dans lesquelles elle s’inscrit. C’est en prenant conscience de cette situation et du « lieu d’où elle parle » que l’on a des chances d’atteindre une plus grande objectivité. »
Source : Université d’Angers – Le Mois du Genre, Le concept de savoir situé.

Depuis la dernière campagne électorale on a vu que les étrangers étaient au cœur des débats

Bchira Ben Nia, déléguée de la Coordination des sans-papiers

L’invisibilisation des savoirs situés dans les médias passe dans un premier temps par l’absence de parole directe des sans papiers. Dans un second temps, la place médiatique insufisante accordée aux acteurs directs de l’accueil, des soins et du suivi administratif de ces sans papiers ajoute un nouveau facteur d’effacement. Anna Sibley, membre du Groupe d’information et de soutien des immigré·es (GISTI) critique dans la démarche du gouvernement actuel le manque de sollicitation de nombreuses associations qui existent. Ces instances ont une légitimité dans l’idée de savoir situé. 

La Loi Asile et Immigration opère comme une piqûre de rappel sur le fait que dans notre société nos lois ne tendent pas systématiquement vers la notion de progrès. À ce propos, Bchira Ben Nia évoque même une forme de régression à venir lors du débat dans À l’Air Libre. Ainsi cette réforme serait propice à une précarisation des situations de personnes sous l’égide de l’appellation métier sous tension renouvelé de manière annuelle. La précarisation opère également sur le regroupement familial limité ce qui aura des conséquences directes sur de nombreuses familles en France. 

On s’attendait à une avancé pas une régression

Bchira Ben Nia, déléguée de la Coordination des sans-papiers

Bchira Ben Nia par son savoir situé révèle la fragilité des lois qui encadrent l’immigration et la précarité que cela entraînera si la réforme entre en vigueur.

L’essentialisme est un humanitaire ?

La Loi Asile et Immigration est présentée par le gouvernement comme ayant un plus grand volet « humanitaire » et une plus grande considération. Or le terreau de ce projet laisse germer une injonction à un type d’assimilation bien précise qui passe nécessairement par l’exercice de certains métiers en tension bien définis.

Les processus d’essentialisation des personnes étrangères en France et la structure de la Loi sont intrinsèquement liés. Dans l’émission Quelle Époque, Marlène Schiappa a déclaré « L’idée de ce projet de Loi c’est de considérer les gens pour ce qu’ils font et pas pour ce qu’ils sont. » De prime abord, l’objectif est de définir uniquement par le métier la « valeur » de ces personnes au regard de la loi. Seulement c’est justement par leur essence qu’on donne à ces personnes des métiers en particulier et que l’on les assimile uniquement à des métiers délaissés par les personnes de nationalité française. Anna Sibley exprime une réponse très clair sur ce point précis :

Finalement, on regarde la figure de l’étranger comme étant un besoin de main-d’œuvre que l’on peut prendre ou rejeter quand on en a plus besoin.

Anna Sibley, membre du Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s (Gisti)

L’essentialisme prend donc tout son sens car les personnes étrangères en France sont criminalisées non pas pour ce qu’ils font mais  pour ce qu’ils sont. Par ailleurs, il règne une confusion ou un fantasme sur le profit qui serait unilatéral selon lequel les étrangers profiteraient du système français alors que le système tire profit d’eux également. Souvenons-nous des propos de Fatou Diome dans Ce soir (ou jamais!) en 2015 sur la richesse que produit l’immigration pour la France.

La Loi Asile et Immigration ne donne pas uniquement le cadre législatif autour de l’immigration française. Elle va composer toute la partition sur le manière dont les personnes sans papiers sont perçues. L’exécutif formate ainsi sa propre définition de l’immigration au travers de la valorisation de l’assimilation qu’elle exige au regard du niveau de langue, de l’exercice d’un certain type de travail pour les personnes qui immigrent en France. La Première Ministre Elisabeth Borne a décidé de reporter le vote de cette réforme de quelques mois faute de majorité. 

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