Loi Darmanin ou la continuité de l’inflation législative sur l’immigration

© David Luu

I 24.04.23 I Éléonore Dubray

Le premier article de ce dossier nous a permis de comprendre l’ensemble des termes qui seront employés ici et de situer l’avant-propos des articles à suivre. Les lois sur l’immigration et le droit à l’asile ont été nombreuses depuis le début du siècle. Dans cet article, nous revenons sur la politique migratoire de la France des trente dernières années qui révèle une complexification, un raidissement du droit des étrangers et une montée imminente de l’extrême droite dans laquelle s’inscrit la loi Darmanin.

Le premier article de ce dossier nous a permis de comprendre l’ensemble des termes qui seront employés ici et de situer l’avant-propos des articles à suivre. Les lois sur l’immigration et le droit à l’asile ont été nombreuses depuis le début du siècle. Dans cet article, nous revenons sur la politique migratoire de la France des trente dernières années qui révèle une complexification, un raidissement du droit des étrangers et une montée imminente de l’extrême droite.

Zoom sur 15 lois liées à l’immigration de 1849 à aujourd’hui

Outre les quinze lois sélectionnées ici, plusieurs autres textes, tels que des décrets ou des circulaires touchent également au droit des étrangers.ères. Le nombre croissant de lois sur l’immigration et le contenu de ces textes illustrent l’évolution de la politique migratoire française vers une vision s’approchant dangereusement de celle de l’extrême droite.

L’inflation législative de la politique migratoire française

Depuis 1945, un texte de loi sur l’immigration est voté tous les deux ans en France. Depuis 1986, tous les gouvernements français sans exception ont promulgué des textes de loi relatifs à l’immigration, l’asile et/ou la nationalité. 10 lois ont été promulguées sous la présidence de François Mitterrand, 6 durant les mandats de Jacques Chirac, 2 durant celui de Nicolas Sarkozy, puis 2 autres sous François Hollande. Enfin, une loi a été promulguée par Edouard Philippe durant le premier mandat du président actuel, et le second, défendu par Darmanin, risque de voir le jour pendant le second mandat d’Emmanuel Macron. Le texte “Projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration”, conduit par l’actuel ministre de l’intérieur, est le 29ème texte depuis 1980 dont le but est de contrôler le travail, l’intégration, l’éloignement, le droit à l’asile et le contentieux des étranger·ères. Cette loi est portée par un ministre qui, rappelons-le, a fait parti du mouvement royaliste “Action Française”, a menacé de remettre en question les subventions publiques accordé à la Ligue des droits de l’homme, et est accusé d’agression sexuelle pour ne citer qu’une partie de ces actes.

En France, la politisation des questions migratoires apparaît dans les années 70-80, mais obtient une place importante dans le jeu politique pendant les années 90 avec la montée de l’extrême-droite.

L’évolution des lois sur l’immigration montre un durcissement à l’accès au territoire français. Non seulement le droit au séjour se réduit, ne permettant pas aux personnes immigrées de vivre de manière stable en France, mais les règles d’accès au territoire finissent par se déshumaniser. Citons par exemple le “passeport talent” de 2016, permettant aux étrangers.ères “qualifiés.es” de rejoindre plus facilement le territoire. La mise en place du “passeport talent” fait notamment échos au prémisse de la loi Darmanin 2023 et sa notion de “métier dit sous tension”. Nous parlons ici de déshumanisation, car les personnes dites “étrangers.ères” sont utilisées comme du bétail pour combler les besoins économiques du pays. Outre la restriction des lois concernant les étrangers.ères, le gouvernement ferme les yeux sur la notion même de terre d’asile. 

Rappelons que selon Amnesty International : 

  • 100 millions de personnes ont été déplacées de force en raison d’un conflit, de persécution ou de catastrophe naturelles, 
  • 26,3 millions de personnes sont réfugiées dans le monde,
  • plus de 50 milles personnes sont mortes en tentant de rejoindre un autre pays depuis 2014, 
  • seulement 17% d’entre eux des réfugié.e.s ont rejoint un pays à revenu élevé. 

Et la politique européenne dans tout ça ?

Crédit photo : Christian Lue

La politique européenne d’immigration et d’asile a été mise en place durant les années 1990. L’espace Schengen entré en application dès 1995 supprime alors les contrôles aux frontières entre les Etats membres mais renforcent les contrôles aux frontières extérieures. Le traité d’Amsterdam de 1997, donne à l’Union Européenne une compétence dans le domaine de l’immigration et de l’asile.

L’UE peut ainsi : 

  • définir les conditions d’entrées et de séjour des immigrants légaux,
  • encourager les États membre à prendre des mesures d’intégration,
  • prévenir et réduire l’immigration irrégulière, notamment par une politique de retour des migrant·es clandestin·es et la signature d’accords de réadmission avec les pays tiers.

Les Etats-membres sont cependant libres de choisir le nombre de ressortissant·es de pays-tiers qui entrent dans leur territoire dans le but de rechercher et d’occuper un emploi. L’influence du droit de l’Union Européenne sur la politique d’immigration et d’asile, accumulée ou transposée aux règles législatives du droit français durant ces trentes dernières décennies devient un véritable casse-tête.

La loi Darmanin de 2023 : “Une loi antisociale pouvant en cacher une autre…”

Bissai Media à la manifestation contre le projet de la loi Darmanin du 25 mars 2023 à l’occasion de la journée internationale contre le racisme © David Luu

Alors que la loi de la réforme des retraites a été adoptée via le 49.3 et que le monde politique a les yeux rivés sur elle, le Sénat a adopté fin mars une série d’amendements du projet de la “Loi Darmanin” dont on voit le durcissement en matière d’immigration. Ce n’est pas pour autant que l’actuel président souhaite abandonner ce texte de loi. L’idée est de le reporter afin de ne pas “mettre sur la table des textes inflammatoires”.

Le texte de loi relatif à l’immigration prévoit une panoplie de mesures facilitant l’expulsion “des étranger·ères délinquant·es”, une réforme du droit d’asile et d’intégration, et une régularisation des travailleurs.es sans papier dans les métiers dits “en tension”. Cette déshumanisation des travailleur·euses sans papier confirme l’ambition politique de Darmanin de faciliter l’expulsion et réduire l’accès du territoire français aux étranger·ères sauf celleux qui lui semble utiles pour l’économie du pays. 

Le vote du projet de loi était initialement prévu le 4 avril avant un passage à l’Assemblée Nationale durant cet été. Ce projet de loi rejoint des positions historiques des politiques de l’extrême-droite, tels que : 

  • le durcissement des conditions d’accès au regroupement familial
  • la suppression de l’aide médical d’Etat
  • la réduction des protections contre les décisions d’obligations de quitter le territoire français (OQTF).
Manifestation contre la loi Darmanin

Bissai Media à la manifestation contre le projet de la loi Darmanin du 25 mars 2023 à l’occasion de la journée internationale contre le racisme © David Luu

La politique migratoire française ne cesse de tendre vers des politiques d’extrême-droite sur fond de déshumanisation des étranger·ères. A l’heure où j’écris ces lignes, l’opération “Wuambushu” débute sur l’île de Mayotte, dans l’archipel des Comores, ancienne colonie française. Cette opération consiste à opérer en l’espace de deux mois un décasage massif, la destruction de milliers de logements dans les bidonvilles et l’expulsion de 2 500 à 3 000 habitant·es vers les îles comoriennes. Les défenseurs des droits dénoncent ainsi la suite de l’ambition politique de Darmanin dans son “opération de lutte contre l’immigration” qui s’étend de l’hexagone aux départements d’outre-mer.

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