ENTRE VOUS ET MOI 

Vivre sa religion et sa spiritualité quand on est issu·e de l’immigration en France : un parcours du combattant ?

Crédit photo: Jeremy Yap

I 17.12.23 I Aya Abouelleil 

J’écris actuellement ce texte depuis mon lit. Sur ma table de chevet se trouvent des livres. Parmi ces livres il y a un petit Coran. Je le regarde et essaye de mettre des mots pour  expliquer mon rapport à ce livre, symbolique de mon rapport à la religion de manière plus globale. 

Pour contextualiser, je suis née et j’ai grandi en Égypte jusqu’à mes dix ans. En Égypte, la religion est assez présente : des appels de prière cinq fois par jour qui rendent la religion “visible” jusqu’aux cours de religion obligatoires à l’école. En plus de ce “socle commun”, ayant une famille assez pratiquante, depuis très petite je prends des cours de religion et d’apprentissage du Coran à la Mosquée à côté de chez moi, toutes les semaines. La religion était donc omniprésente dans ma vie quotidienne. Arrivée en France, ça a évidemment été beaucoup moins le cas. Néanmoins il était très important pour ma mère de limiter au maximum cet écart. Rebelote, mes premières années en France, je suis des cours de religion et d’arabe à la Grande Mosquée de Lyon. 

Au fur et à mesure des années, les activités extra-scolaires quelles qu’elles soient deviennent relous pour tout.e adolescent.e. Les cours (souvent le week-end) sont vécus comme un fardeau, une obligation imposée par les parents et non en réponse à une passion personnelle et choisie. Je ne saurais pas vous dire exactement quand mais j’ai commencé à aller de moins en moins à la Mosquée. Ce moment coïncide à peu près à la période où la personnalité se construit, où on commence à prendre du recul sur tous les apprentissages que nos parents nous ont inculqués (au-delà du religieux). Qu’est ce qu’on garde? Qu’est ce qui nous correspond? Qu’est ce qu’on prend des ressources extérieures et de la société ?

Cette recherche inhérente au concept même d’avoir la foi peut s’avérer plus difficile à vivre pour les enfants issus de l’immigration. Mes amis (pour la majorité blancs à l’époque) ne connaissaient rien à ma langue, ma culture et encore moins à ma religion. Je manquais d’un entourage qui aurait pu m’aider à trouver des réponses plus rapidement et je me suis retrouvée pendant assez longtemps à jouer une sorte de double personnage. Je vivais encore avec mes parents donc l’espace familial restait très religieux. Mais dans le monde extérieur mon lien à la religion était secret. Je me faisais la plus discrète possible par rapport à ce sujet, mais ce n’est pas faute d’avoir (rarement) essayé. La société française est particulièrement ignorante et donc souvent virulente dans son incompréhension des pratiques religieuses. Ceci va de la “simple” incompréhension au quasi-jugement. On doit constamment “prouver”, or la religion par nature ne s’explique pas rationnellement ou scientifiquement. De plus, jeunes on n’a pas forcément suffisamment de matière et de maturité pour argumenter dessus, ce qui conduit à beaucoup de frustrations et une accentuation du sentiment de décalage et de perte. La montée de l’islamophobie en France depuis 2015 notamment, avec les nombreux débats sur le port du voile m’a parfois conduit à ressentir une sorte de “honte” de ma mère voilée, ressentir de la gêne quand elle venait me voir à mes matchs de basket par exemple. Avec des hauts et des bas, mon chemin s’est avéré plutôt solitaire et souvent violent. 

J’estime que le rapport à la foi, à Dieu, à la religion et à la spiritualité est profondément personnel et intime. J’estime même que c’est LE rapport le plus intime.

Je me suis longtemps accrochée à mes pratiques religieuses. Je pèse mes mots en disant que c’était un combat. Et malgré toute la discrétion du monde, dans un groupe de personnes majoritairement blanches et bourgeoises, j’étais souvent identifiée comme la fille qui boit pas d’alcool en soirée, entre autres choses. Pas toujours facile pour s’intégrer notamment pour une adolescente. La société pousse presque à un rejet de sa propre culture (du moins en façade) et pour ma part ça incluait la religion. Bref, je suis passée par différentes phases, dans un sens comme dans un autre. 

Vous l’aurez compris, ça a souvent été compliqué. Mais ça a aussi était très apaisant, très accompagnateur finalement dans ce chemin solitaire. Dans les moments les plus durs, j’avais mon petit livre, sur ma table de chevet. En somme, une sorte de relation amour/haine pendant quelques années. Mais c’est pas grave, car finalement comme pour tout dans la vie on fait son chemin. On fait un travail sur soi, sur qui on est, ce qui nous correspond, nous rend paisible, qui nous entoure, qui nous guide, nous inspire, nous aide. Et puis on trouve son équilibre. 

J’estime que le rapport à la foi, à Dieu, à la religion et à la spiritualité est profondément personnel et intime. J’estime même que c’est LE rapport le plus intime. Vous l’aurez compris je n’ai pas de réponses à vous donner, il n’y a pas un chemin, on aura chacun des réponses et des pratiques différentes. Mais ce qui ressort de ce combat c’est qu’il faut faire les choses pour soi, choisir le chemin qui nous correspond. Le but n’est pas de rentrer dans un moule que ce soit pour plaire à nos parents ou pour plaire à la société, mais uniquement pour être bien avec soi et pour soi, quel que soit le chemin. 

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