ENTRE VOUS ET MOI 

Représentation et (non)rapport à la séduction

Crédit photo: Kyle Wong

I 18.02.24 I David Luu

Entre vous et moi, j’ai longtemps pensé que je n’étais pas fait pour les rapports de séduction, que je ne serai ni l’amour ni l’amant de personne.

Je suis un homme asiatique, d’origine vietnamienne, cis et hétéro. Pendant très longtemps, les gens comme moi n’existaient pas dans la culture populaire française, blanche et occidentale. On était invisibles quand on n’était pas raillés. 

Absent des médias, ou plutôt exclu, j’ai eu beaucoup de mal à me fantasmer notamment parce que l’image qu’on me dessinait était toujours “moins” que les autres mecs : moins beau, moins viril, moins masculin… De la taille de mon sexe à mes capacités intellectuelles ou à me battre, j’avais l’impression qu’à travers ces stéréotypes, entre autres, les gens me connaissaient mieux que je ne me connaissais moi-même. Je ne voulais pas rentrer dans ces cases, c’est comme si on m’y avait forcé, comme si on voulait faire rentrer un hexagone dans un S. J’étais certes le petit asiatique à lunettes, un peu geek sur les bords mais dernier en maths et science, pas loin d’être premier en sport et en chant. 

A travers ces clichés, d’une certaine façon et parce que je le subissais aussi, j’ai réalisé que les mecs asiatiques en société étaient émasculés et exclus aussi des cultures populaires occidentales et donc, de toutes narrations romantiques ou sexuelles. Quand on apparaissait à l’écran, c’était pour perpétuer des stéréotypes : j’avais le choix entre être le gars qui fait des arts martiaux, l’ingénieur informatique ou encore Kev Adams. Ce que je comprenais c’est que je pouvais sauver le monde avec des coups de poing et des onomatopées ou être un type hyper intelligent dans un domaine, mais que jamais, jamais, je ne pourrai pécho une meuf. Ah et le plus important : je devais avoir de l’autodérision parce que… génération Jamel Comedy Club. 

Face à ce tableau qu’on me peignait, j’ai construit une sorte de syndrôme de l’imposteur de la séduction : je ne me sens pas “légitime” pour être désiré. Il est quasiment impensable de m’imaginer dans un jeu de séduction ou de drague, à tel point que toutes mes précédentes relations ont existé parce que mes ex-partenaires ont fait le premiers pas… et je n’y crois toujours pas. 

Parents divorcés, j’ai vécu avec ma mère et je n’étais pas vraiment proche de mon père. Fils unique en plus et un des rares garçons de la famille, j’étais souvent au centre de l’attention. Ma famille et mes tatas avaient toujours un mot gentil pour moi. J’étais très gêné mais c’était mes shots d’égo. Si au sein de ma communauté, j’avais le sentiment d’être “validé”, ce n’était plus le cas quand je sortais de ce cercle : ce que je voulais, c’était avoir la validation de l’extérieur.

Au collège, je me voyais en Yoann Gourcuff à Bordeaux, ou en Justin Timberlake dans Friends with benefits mais surtout sur Cry me a river, ou encore en Justin Bieber, tandis que mes camarades me voyaient plutôt en Jackie Chan, en Psy, le gars du Gangnam Style ou en un des gars de Shaolin Soccer. Arrivé au lycée, je porte la fameuse mèche (sans être un belieber) et je consomme du rap (sans être un yencli) ; j’ai été alors un Pirate, un Sheguey mais jamais été un Charo… En grandissant, je n’avais aucun modèle de masculinité asiatique. Ils pouvaient être blanc mécheux ou noir chauve et avaient même plus de chance d’être un grand bleu ou un petit vert qu’asiatique, c’est dire…  Je n’avais donc rien sur lequel je pouvais me projeter. 

Et qu’en est-il aujourd’hui ? Les choses changent en commençant par moi. J’ai accepté ce que je ne serai jamais : un meneur de jeu breton, un chanteur de RNB ou un rappeur de Roubaix. C’est toute une partie de mon identité que je dois encore déconstruire. Déjà, j’ai pris conscience que ce n’était pas de ma faute et que c’était le fruit d’une histoire coloniale et d’un système patriarcal qui a consisté à déshumaniser les personnes racisées dont les hommes asiatiques dans le but de nourrir ou de faire valoir la domination blanche qui serait la norme de tout. Par le voyage, je me suis retrouvé au sein d’une majorité (ni relative ni celle qui marche), auprès de personnes qui me ressemblent physiquement. En effet, j’ai eu la chance de flâner en Asie du Sud-Est ces dernières années et même de vivre dans le pays de mes parents. Paradoxalement, au milieu de cette densité de population et à bien des égards, je me suis senti vu et existé. Le poids des étiquettes sur mes épaules avait presque disparu ; je me sentais léger et surtout je ne me suis jamais senti aussi vivant. C’était comme si mon estime de moi était sous perfusion.

Être entouré de personnes qui me ressemblent ou le fait de pouvoir choisir les récits auxquels je souhaite m’exposer m’ont permis de changer mon imagerie et de mieux m’apprécier. Pour moi, ça a commencé grâce au magazine Koï, qui traite des cultures asiatiques, qui, comme dans les jeux vidéos, m’a débloqué de nouveaux mondes avec pleins de nouveaux personnages et ça continue avec Bissaï aujourd’hui. Au cinéma ou sur les petits écrans, à choisir, je vais maintenant plus me tourner vers des œuvres avec des personnes asiatiques ou racisées. Je valorise aussi beaucoup plus maintenant les compliments de mes tatas. Je me redécouvre. Je me mate parfois. Je me vois de plus en plus dans des histoires qui me ressemblent. J’ose même m’imaginer dans des histoires d’amour. Je m’identifie à Steve Yeun dans Minari ou Acharnés, en Teo Yoo dans Past Lives et que Quand vient la nuit, je me vois en Monsieur Nov (surtout depuis qu’il a des cheveux) (sans la toxicité et la voix). 

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