ENTRE VOUS ET MOI 

Que reste-t-il à transmettre à ses enfants quand on a immigré avant de devenir un·e adulte ? 

Crédit photo: Gil Ribeiro

I 15.10.23 I Luana Paulineau 

Lorsqu’on a des parents qui ont quitté leur pays d’origine à un jeune âge, il peut parfois être difficile d’établir des liens solides avec ces régions. La transmission de la culture de mes parents est une question qui me touche personnellement, car ils viennent de deux endroits différents : l’un des îles du Cap-Vert et du Sénégal, et l’autre de la Martinique. Malgré leurs milieux de vie très différents, ces régions ont des liens historiques en raison de la colonisation. Bien que les deux îles partagent le créole comme langue, elles diffèrent grandement et portent des histoires distinctes. 

Bien que j’aie visité la Martinique plus fréquemment, j’ai toujours ressenti un fort attachement au Cap-Vert, car j’ai grandi dans un environnement culturel capverdien. Mon enfance était bercée par la musique capverdienne, la dégustation des plats traditionnels, et les danses traditionnelles. Je n’ai pas eu la chance de me rendre au Cap-Vert très souvent durant mon enfance, mais j’étais fière de ma descendance capverdienne, même si cet archipel est souvent omis sur les cartes du monde. En ce qui concerne la Martinique, mon identité martiniquaise est tout aussi importante, bien que je n’aie pas grandi dans un environnement purement antillais. Mes voyages en Martinique, les conversations avec ma famille, m’ont permis de m’imprégner davantage de la culture. Pour ce qui est du Sénégal, même si j’y suis allée petite, c’est seulement dans la vingtaine que j’ai commencé à en apprendre davantage sur cette partie de mon identité.

Le départ de leurs pays d’origine a exposé mes parents à de nombreux défis et à des ajustements culturels. Ces défis ont eu un impact considérable sur leur identité et leur capacité à transmettre leur culture à mes frères et sœurs, ainsi qu’à moi. Lorsque l’on est enfant, on n’a pas de libre arbitre, ce sont les parents qui prennent les décisions, et nous devons les suivre sans donner notre avis. C’était le cas de mes parents qui ont quitté leur pays d’origine, l’un à l’adolescence et l’autre vers deux ans environ. À l’adolescence, on commence à prendre conscience de certaines choses, mais on reste encore innocent et naïf, tandis qu’à deux ans, on n’est même pas conscient de ce qu’est notre vie.

« L’un des autres obstacles de la transmission de la culture lorsque nos parents sont arrivés en France, très jeunes, c’est qu’ils ne connaissent pas vraiment leur pays d’origine ou qu’ils n’ont presque plus de souvenirs.« 

L’un des obstacles majeurs lorsqu’on arrive dans un nouveau pays est la barrière de la langue, ce qui a été un frein pour moi au niveau culturel, car ce ne sont pas mes parents qui me l’ont transmise. Je ne dis pas que j’étais forcément ouverte à l’apprentissage de mes langues d’origine, mais ce n’était pas quelque chose de naturel pour moi quand j’étais plus jeune, car je n’en avais pas l’habitude et je ne me sentais pas légitime par rapport aux autres personnes qui étaient à part entière martiniquaises ou capverdiennes. C’est seulement dans le cadre familial ou lors de mes voyages que j’étais à l’aise, mais à la maison, aucun de mes parents ne parlaient sa langue maternelle avec moi.

Ma mère a fait plusieurs tentatives pour me parler en kriolu, mais elle a fini par abandonner car elle n’avait pas l’habitude de le faire avec moi. J’ai développé une compréhension de cette langue, car elle la parle au quotidien et grâce à la musique et à ma famille. Pour ce qui est du créole martiniquais, c’est vraiment lors de mes voyages en Martinique que j’ai pu avoir l’oreille et mieux l’appréhender, et bien sûr aussi grâce à la musique et à la famille. Cette situation peut être source de frustration, de ne pas maîtriser pleinement sa langue d’origine, surtout que c’est une part essentielle de mon héritage culturel.

Crédit illustration : Niccolace

Mais l’héritage culturel ne s’arrête pas à la langue, et heureusement il y a l’histoire et les traditions qui permettent d’en savoir plus sur notre culture. L’un des autres obstacles de la transmission de la culture lorsque nos parents sont arrivés en France, très jeunes, c’est qu’ils ne connaissent pas vraiment leur pays d’origine ou qu’ils n’ont presque plus de souvenirs. Cela peut être problématique si en plus ils n’y sont pas retournés, car ils peuvent avoir une image complètement biaisée et influencée par ce qu’ils entendent dans les médias ou chez les autres.

Les habitudes alimentaires sont un autre défi dans notre famille. Les plats traditionnels de nos pays d’origine sont rarement cuisinés à la maison (heureusement qu’il y a la famille), ce qui limite nos chances de goûter ces mets délicieux et de découvrir la richesse de notre culture culinaire. Les préférences alimentaires sont souvent liées à des souvenirs d’enfance et à des moments de convivialité en famille. Malheureusement, c’est vraiment en grandissant que j’ai réalisé la chance que j’avais d’avoir des cultures différentes, surtout au niveau culinaire.

L’adoption d’une attitude plus marquée envers la culture du pays d’accueil peut également être une réalité lorsque nos parents ont quitté leurs pays d’origine assez tôt. Parfois, nos parents ont l’impression de devoir s’adapter à ces nouvelles normes culturelles pour s’intégrer et réussir dans leur nouveau pays. Cela peut créer un écart entre eux et leurs racines culturelles d’origine, ce qui peut être source de confusion et de questionnement pour nous, leurs enfants.

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