PARTIE III : Les « générations issues de l’immigration » : pluralité des situations et enjeux de définition

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I 19.03.22 I Z.

Quelle pertinence peut encore avoir le décompte des générations dans une société de plus en plus multiculturelle ? Quels enjeux en découlent pour les personnes concernées ?

Combien de générations reste-t-on “immigrants” ?

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Depuis l’émergence de la notion de “deuxième génération” dans les années 1980, d’autres propositions ont émergées pour dépasser les limites du décompte générationnel. La sociologue Emmanuelle Santelli constate que “la terminologie “descendants d’immigrés” illustre ce changement de paradigme. Elle a pour effet de réintroduire une filiation entre les générations et de mettre l’accent sur les difficultés qui perdurent pour certaines catégories d’immigrés et les enfants de ces immigrés (d’origine non européenne), et ce malgré l’ancienneté de certaines de ces immigration”.

Dans leur étude “Combien de générations reste-t-on  “immigrants” ?”, Imen Ben-Cheikh et Abdelwahed Mekki-Berrada soulignent en quoi cette pluralité des définitions est essentielle pour respecter l’expérience ainsi que la “liberté de choix” et de définition des personnes concernées : Alors que l’ancrage dans la culture d’origine est central chez de nombreux descendants d’immigrants, la liberté des choix et des stratégies identitaires doit être respectée”.

Se réapproprier son identité immigrante pour lutter contre la stigmatisation

Les critiques adressées dès les années 1980-1990 à la terminologie de « deuxième génération » résonnent d’autant plus dans un contexte où : l’immigration est, à l’échelle nationale et internationale, souvent abordée au niveau politique et médiatique comme un problème ou une menace contre la société d’accueil”. 

Mais Imen Ben-Cheikh et Abdelwahed Mekki-Berrada rappellent que cet effet n’est pas le seul type de réception possible : “selon le contexte sociopolitique et les discours publics sur l’immigration, les réponses identitaires stratégiques sont diverses, pouvant mobiliser des réactions d’acceptation, de rejet ou de négociation”.

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Ainsi, à l’inverse, on peut également observer une forme d’appropriation de l’identité immigrante : “Le fait de se définir comme “immigrants” de génération en génération peut représenter une forme d’affirmation identitaire personnelle qui peut, parfois, devenir une stratégie de résistance contre l’assimilation culturelle ou une forme de protestation contre la discrimination et la stigmatisation”.

Quelle mémoire de l’immigration ? 

Dans le quatrième épisode de notre saison 2 consacré à la représentation, Feroz s’interrogeait à propos des futures générations : Moi c’est facile, je dis que je suis Indien-Vietnamien. Mais aujourd’hui mes gamins quand ils vont devoir l’énoncer, ça va être complexe quand même. Il faut du temps, ça va être très long. “Il est de quelle origine ?” Il est là, et c’est déjà beaucoup. Si un jour tu as vraiment le temps d’écouter… Parce que quand on raconte notre métissage, on est toujours à l’endroit de l’exotisme. Si tu n’as pas le temps d’entendre mon récit, ne me demande pas mes origines.”

Poser la question de l’ “auto-définition” pose donc également, en creux, celle du rapport à la transmission et aux mémoires : mémoires familiales et générationnelles, et plus globalement, mémoires de l’immigration: “Déjà que moi, l’histoire de mon père et de mes grands-parents elle est déjà occultée, qu’est-ce qui va rester ?” Quid des enfants de ses enfants ? : “Ils ne parleront même plus du Vietnam ni de quoique ce soit. Il va y avoir toute une vague d’enfants qui vivront sûrement une expérience en tant que racisé·e·s, mais qui n’auront aucuns liens par rapport à ces pays-là”.

Sources

Imen Ben-Cheikh et Abdelwahed Mekki-Berrada, « Combien de générations reste-t-on “immigrants” ? Réflexion critique sur une terminologie porteuse d’une identité imposée », L’Autre, vol. 21, no. 3, 2020, p. 318-326.

Emmanuelle Santelli, « De la “seconde génération” aux descendants d’immigrés : constructions identitaires et enjeux sociaux », Migrations Société 113, no. 5, 2007, p. 51-56.

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