L’art comme clé de compréhension de l’Histoire et de nos histoires : entretien avec Sarah Velazquez Orcel

Partie 1 – Faire des ponts : le chemin vers l’histoire de l’art, les liens avec le Mexique et l’art en partage

 © INA

I 23.10.23 I Z

Doctorante en histoire de l’art, Sarah Velazquez Orcel nous invite à travers son compte Instagram et son carnet de recherches en ligne à comprendre une époque structurée par les images. Dans ce riche entretien en deux parties, on aborde tout d’abord le parcours de Sarah Velazquez Orcel vers l’art, ce que signifie travailler sur l’Amérique latine aujourd’hui en France, et son lien avec le Mexique à travers ses recherches.

 

Doctorante en histoire de l’art, Sarah Velazquez Orcel nous invite à travers son compte Instagram et son carnet de recherches en ligne à comprendre une époque structurée par les images. Dans ce riche entretien en deux parties, on aborde tout d’abord le parcours de Sarah Velazquez Orcel vers l’art, ce que signifie travailler sur l’Amérique latine aujourd’hui en France, et son lien avec le Mexique à travers ses recherches.

 

L’art comme pont entre le Mexique et la France

Sarah Velazquez Orcel, 27 ans, est Franco-mexicaine, d’une mère française et d’un père mexicain. Elle a grandi jusqu’à ses six ans entre ses deux pays, avant d’habiter en France jusqu’à aujourd’hui. Elle est en deuxième année de thèse en histoire de l’art : “Je travaille sur les représentations de la conquête de la colonisation du Mexique par l’Espagne au XVIe siècle, dans les arts mexicains et espagnols au XIXe siècle, car c’est au XIXe siècle que le Mexique devient indépendant. Donc je m’intéresse à comment, à la fois le pays qui a été anciennement colonisé, et celui qui était le colonisateur, représentent cet évènement au moment où leurs histoires se séparent.” À travers ce sujet, elle s’intéresse aussi beaucoup à la représentation des personnes qui ont été appelées les “autochtones” d’Amérique : “Les images de la conquête mettent en scène une altérité. Je réfléchis à comment cette altérité est construite plastiquement et comment elle est exposée dans les tableaux.”

Ce rapport à l’art est présent depuis petite et lui vient de sa mère, historienne de l’architecture. Même si elle n’a pas eu accès à un poste en rapport avec son travail, ce qui a induit une situation précaire, Sarah considère que les connaissances de sa mère ont tout de même permis un accès à un patrimoine symbolique, et surtout un lien avec les musées et une familiarité avec les œuvres d’arts. Ce rapport à l’art a été central dans son rapport avec le Mexique : “Quand je suis rentrée en France et que mon père est resté au Mexique, j’avais moins de liens avec le Mexique dans le sens où je n’avais pas ma famille mexicaine avec moi. Finalement, le lien qui restait était donc peut-être ce lien à l’art, puisque ma mère était partie au Mexique pour étudier l’art mexicain.” 

Le chemin vers l’histoire de l’art

Pour autant, le chemin professionnel vers l’histoire de l’art n’était pas tout tracé. Au lycée, elle fait tout d’abord un passage express dans un établissement réputé à Versailles : “J’ai tenu deux semaines dans ce lycée car je n’ai juste pas supporté la façon dont les profs nous parlaient mal, et cette espèce d’idée d’excellence. J’étais toute la journée à Versailles, je prenais le train etc, je ne voyais presque pas mon enfant.” Le fait d’avoir eu un enfant à cette période a été un élément central dans son rapport aux études :  “Ça a changé mon rapport aux études, car j’ai dû beaucoup plus travailler pour réussir à les poursuivre. Il fallait qu’elles soient concrètes et me mènent à quelque chose, et j’étais aussi plus mature dans le sens où le plus important était mon enfant donc je perdais moins de temps pour le reste”. Elle se tourne vers son lycée de secteur à Trappes, où elle passe de très bonnes années d’apprentissages. “Après mon Bac, je voulais plutôt faire sciences-politiques : j’ai passé le concours Sciences-Po. Dès le concours, j’ai retrouvé l’ambiance élitiste que j’avais connue à Versailles et je savais très bien que je n’allais pas supporter. Donc j’ai pris un an pour réfléchir à ce que je voulais faire, j’ai travaillé en enchaînant beaucoup de petits boulots.”

On est dans un siècle où l’image est centrale, donc je trouve passionnant de pouvoir étudier les origines de la création de ces images.

Sarah Velazquez Orcel

Cette année de réflexion l’amène à vouloir s’orienter vers de la littérature ou de l’histoire de l’art. Ça sera finalement l’histoire de l’art : “J’ai déposé un dossier, j’ai été acceptée, et j’ai adoré l’histoire de l’art. Je me suis dis que c’était parfait pour moi, parce que j’adore l’histoire, mais l’histoire de l’art ça été quelque chose de différent : ça touche à une certaine individualité puisque tu étudies les œuvres d’un artiste en particulier, qui lui-même a sa propre histoire personnelle. Et en même temps, c’est aussi un témoignage d’une façon de regarder le monde à une certaine époque. On est dans un siècle où l’image est centrale, donc je trouve passionnant de pouvoir étudier les origines de la création de ces images. Donc l’histoire de l’art m’a passionné et j’ai continué jusqu’à la thèse.” 

Partager les connaissances sur l’art, un domaine encore trop élitiste

Cette passion, Sarah Velazquez Orcel la partage à travers un carnet de recherches en ligne où elle propose des analyses d’œuvres ou de thématiques (comme la figure de Pocahontas, du XIXe siècle jusqu’au film de Disney : à lire !), et également son compte Instagram

Ce travail naît d’une volonté de partager les outils de compréhension auxquels elle a accès depuis très jeune : “Je me suis rendue compte très vite que l’accès aux musées était totalement inégalitaire : pour moi c’était naturel d’y aller et de regarder une œuvre car ma mère nous y amenait depuis qu’on était petits. Alors qu’en grandissant, mes ami·es du quartier qui n’avaient pas eu cet accès là étaient impressioné·es par les musées et attendaient que je sois disponible pour y aller, car iels avaient l’impression que s’iels y allaient sans moi, sans connaissances, iels n’allaient juste pas savoir quoi faire”.

crédits : Sarah Velazquez Orcel (instagram)

Elle considère que beaucoup de musées participent malheureusement de cette difficulté de s’approprier l’art : “Même moi qui suis en thèse, parfois il y a certains cartels [les panneaux explicatifs des oeuvres] que je n’arrive même pas à comprendre ! Tu as l’impression qu’ils ont pioché des mots hypers compliqués pour faire des phrases qui ont l’air intelligentes, ce qui accentue le fait que l’art ne s’adresse qu’à une petite partie de la population.” 

À l’origine, elle commence donc les partages sur son compte personnel, surtout pour son entourage : 

“J’ai commencé à partager en story quand j’allais voir une exposition ou autre, surtout pour que mes ami·es puissent se sentir d’y aller et de ne pas se sentir bêtes, humilié·s. Parce qu’avec ce système élitiste de l’art, c’est une humiliation d’avoir l’impression qu’on te rappelle que tu es bête et que ce n’est pas ta place.”

Des partages qu’elle a continué en commençant sa thèse : “J’ai commencé à avoir envie de parler de mes propres recherches, dans ce souci de partage de connaissances. Même si j’adore ce que je fais, et que j’adore lire etc je me suis demandé à quoi ça servait : à part écrire un mémoire lu par mon jury, ou parler à des colloques avec des universitaires devant toi, ce qui fait que les savoirs ne sortent jamais du cercle universitaire. J’avais presque envie d’arrêter la recherche pour ça, car j’avais l’impression de participer à un système et de le cautionner, et ça me dérangeait. J’avais l’impression que ça n’avait pas de sens, d’être dans ma tour d’ivoire, en ne contribuant à rien. Alors qu’en lisant tous ces livres et toutes ces recherches, je me rends compte qu’il y en a tellement qui mériteraient d’être visibilisés. Surtout que personne ne devrait avoir à faire une thèse pour comprendre quelque chose à l’histoire de l’art ou à certains livres. Donc j’ai commencé à partager des choses sur mes recherches, et au début, je pensais que mes ami·es allaient me lire par gentillesse, je me disais “les pauvres, quand je les vois en soirée je leur parle de mes recherches !” Et en fait il y a eu plus de gens qui ont été intéressés et ça m’a conforté dans l’idée que les gens sont réellement intéressés et ont vraiment envie d’apprendre, sauf qu’on ne leur donne pas l’accès.”

L’importance de rendre accessible l’art à plus de monde, et plus tôt

C’est un cercle vicieux qu’elle aimerait voir changer : peu d’accès à l’art, donc une moindre importance accordée aux études sur l’art, ce qui renforce un système de recherche et d’enseignement très précaire : “Si on n’a pas beaucoup de moyens dans les sphères de la recherche, c’est à cause de politiques ultra libérales, mais c’est aussi parce que ces politiques partent du principe que ça ne sert à rien. Par exemple, si demain on décidait de mettre 2 milliards d’euros dans la recherche en histoire de l’art, les gens penseraient sûrement que ça ne sert à rien, car le milieu élitiste de l’art fait que les gens ne se sentent pas concernés par ça.” 

Elle aimerait donc pouvoir déconstruire cela au plus tôt, en donnant davantage accès aux musées, aux œuvres, à un enseignement d’histoire de l’art aux plus jeunes. Si on a pas eu l’occasion d’étudier de l’histoire de l’art au sein de son cursus scolaire, peu de chance qu’on s’y oriente ensuite dans le cursus universitaire… : “Quand tu sors du Bac, si tu n’as jamais mis les pieds dans un musée, jamais de la vie tu vas faire de l’histoire de l’art. Donc c’est déjà une forme de tri social. C’est pour ça qu’un de mes rêves, ça serait d’être prof d’histoire de l’art mais plutôt au collège par exemple.”

Crédit photo: SeventyFour

Pour l’instant, force est de constater que ce n’est pas une priorité :  “Au Brevet il y a une épreuve d’histoire de l’art : on demande aux profs de français, histoire et arts plastiques de la préparer alors qu’iels n’ont pas du tout une formation d’histoire de l’art et qu’iels sont déjà en train de crouler sous tout le reste. Maintenant que je suis chargée de cours à la fac, je vois que celleux qui ont fait des options d’histoire de l’art sont choqué·es en arrivant à la fac parce que ce n’est pas la même chose qu’iels ont appris, parce qu’iels n’avaient pas des historien·nes de l’art en face d’elleux… On est dans une logique capitaliste où ce n’est pas rentable d’enseigner cela aux enfants. Alors que ça pourrait ouvrir tellement de choses, et permettre à plein d’enfants qui se sentent mal dans le système scolaire d’apprendre quelque chose qui change.” 

Enjeux de diversité et de représentation dans la recherche et l’enseignement

Est-ce que le fait qu’il y ait plus de diversité parmi les professeur·es et chercheur·ses en histoire de l’art pourrait aider à faire bouger les choses ? Pour Sarah Velazquez Orcel, il s’agit de bien cerner ce qui se joue dans l’enjeu de la diversité : évidemment, tout ne peut pas se réduire qu’à ça. Mais le fait de connaître un sujet, parce qu’on est concerné·e, permet aussi de mettre en avant des questions qui ne le sont pas assez voire pas du tout : “Dans tout mon cursus à la fac, je ne crois pas avoir eu un·e seul·e prof racisé·e.” se rappelle-t-elle. “J’avais assisté à un colloque sur les “canons”, les modèles, dans l’histoire de l’art, organisé par des jeunes chercheur·ses pour montrer ce que fait la jeune recherche. Et littéralement sur un programme de deux jours, il n’y a pas du tout eu la question de la colonisation : personne n’a pensé à introduire dans le programme quelque chose qui remettait en question ces modèles-là. J’avais proposé quelque chose mais je n’avais pas été prise : c’était un impensé pour elleux, et ça reste un impensé pour les gens qui font de la recherche et qui ne sont pas concernés, parce qu’ils ne vivent pas ces choses là.” 

En France, et surtout dans le milieu de la recherche, on a encore ce mythe universaliste que les couleurs n’ont aucune importance, et qu’une personne concernée est limite celle qui serait la moins bien placée pour faire une recherche parce qu’elle ne serait pas objective.

Une problématique à laquelle elle a elle-même été confrontée par rapport à ses travaux portant sur son pays d’origine, le Mexique : “En France, et surtout dans le milieu de la recherche, on a encore ce mythe universaliste que les couleurs n’ont aucune importance, et qu’une personne concernée est limite celle qui serait la moins bien placée pour faire une recherche parce qu’elle ne serait pas objective. Alors qu’en fait, si par exemple mon sujet était traité par un homme blanc, il aurait aussi un regard pas du tout objectif, et presque même moins objectif que le mien.” Elle se remémore un moment précis : “Par exemple, j’ai une amie blanche qui avait fait son mémoire sur la guerre d’Algérie et les images dans les journaux. J’avais lu son mémoire qui était assez engagé, et elle avait peur qu’on le lui reproche à sa soutenance. En réalité, ils ont adoré son travail. Et moi, j’ai eu dans mon jury quelqu’un qui m’a accusé de faire du racisme anti-blanc, alors que tout ce que je disais était référencé, et que j’avais beaucoup étudié les enjeux de racisme (et en plus j’ai dosé !). Mais il m’a dit ça juste parce que j’étais mexicaine.” Elle conçoit donc également qu’il faut avoir du courage pour avoir envie d’être “l’exotique de service dans la recherche”.  Elle a par exemple vécu des expériences de racisme et d’exotisation plus insidieuses, qui passent comme “positives” : “Il y a aussi ce côté “exotique mexicain” : j’ai eu des profs horribles qui m’ont fait des réflexions hyper sexualisantes…” Pour son cas, elle résume : “Je pense que ça pourrait être un changement mais qu’il faut le vouloir. Et puis, moi si j’ai réussi c’est aussi parce que j’ai certains privilèges de la part de ma mère qui a aussi fait une thèse, donc je sais bien parler quand il faut. Et je suis aussi métis, donc plein de fois, mes origines ne sont pas forcément visibles.”

Son lien avec le Mexique à travers l’histoire de l’art

Le travail de Sarah Velazquez Orcel sur l’histoire de l’art mexicain construit des ponts entre le Mexique et la France et résonne avec son rapport à ses origines : “Pendant très longtemps j’avais du mal avec le fait que je sois française et mexicaine, avec cette dichotomie. Mais maintenant je prends ça comme quelque chose d’assez complémentaire qui me rapproche du Mexique. Le fait que je l’étudie me permet aussi d’avoir une espèce de distance, même si je suis concernée.”

Crédit photo: La Tessita

Son travail interroge des histoires qui s’entremêlent : la “grande Histoire” qui lie les deux pays, et aussi son histoire personnelle, qu’elle peut mieux connaître grâce à ses recherches : “Par exemple, la famille de mon père vient du Chiapas mais aussi de l’isthme de Tehuantepec, donc ils sont Mayas et Zapotèques ; c’est une région où beaucoup de personnes indigènes vivaient. Iels n’ont pas laissé beaucoup de traces, en comparaison à ma famille française pour laquelle je peux retrouver pleins de photos, des actes de naissances etc… Du côté de ma famille mexicaine, c’est différent : rien que mon père a été déclaré dans une mairie où il n’est pas né. Le problème avec ça, c’est que tu as plein d’histoires comme celle-là mais qui se perdent quand les gens meurent. Et ma famille mexicaine est beaucoup plus dans une culture de l’oralité, donc il y a pleins de choses qui se transmettent à l’oral : pour que ça se transmette il faut que je sois avec eux, par exemple ça va se transmettre quand on va faire à manger etc. Du coup, quand je suis en France et que je leur demande “tu peux me parler de tel truc ?”, à l’écrit iels ne vont rien m’envoyer.” C’est là où ses recherches peuvent lui permettre de reconstituer certains pans de son histoire familiale : “Le fait d’étudier tout ça me permet aussi un peu de reconstruire le puzzle : par exemple je n’ai jamais compris pourquoi iels avaient quitté le Chiapas. En fait, en étudiant le XIXe siècle mexicain, je me suis rendue compte qu’il y avait eu une guerre civile au Mexique qui est assez peu connue, où il y a eu tout le Chiapas et le Yucatán qui voulaient devenir indépendants. Il y a eu énormément de racisme par rapport à ça parce que c’étaient des personnes indigènes, ils ont été envoyés comme esclaves à Cuba etc…”. 

Ce lien que permet ses recherches avec son histoire personnelle lui permet des découvertes qui peuvent être très fortes, comme celle d’une représentation d’un homme de la région d’origine de sa famille, datant du XIXe siècle : “Ma famille française avait accès à la photo très vite au XIXe siècle, alors qu’au Mexique, pendant très longtemps, il fallait soit que le photographe passe au village pour prendre la photo, soit avoir l’argent pour pouvoir la payer etc…Ce qui fait qu’il y a pleins de photos que je n’ai pas : par exemple je n’ai pas de photos de mes arrières grands-parents. Et un jour je parcourais des livres sur le XIXe siècle et je suis tombée sur une représentation d’un pêcheur légendée “Pêcheur de l’isthme de Tehuantepec”. J’étais hyper émue devant cette image-là et devant la personne qui écrivait tout un article sur l’importance des pêcheurs dans cette région, parce que dans ma famille paternelle, les hommes étaient presque tous des pêcheurs pendant très longtemps. Je le savais mais le fait d’avoir cette image m’a beaucoup émue. Ils expliquaient qu’au XIXe siècle, certains peintres allaient dans les régions indigènes pour peindre les scènes populaires locales, et que le pêcheur était un peu le “cliché” de cette région ; ça m’a émue parce que j’ai appris pleins de choses. Tu te dis qu’il y a peut être des gens de ma famille qui ont connu ce pêcheur..!”

Quand tu viens d’une classe plus populaire, et en plus d’un pays qui a été colonisé, tu es sûre que tu ne vas pas retrouver l’histoire de ta famille dans les livres et dans les représentations

La rareté des images que l’on peut avoir de sa famille ou de sa culture d’origine rend ce travail de recherche d’autant plus important : “Je pense que de manière générale, quand on étudie l’histoire ou l’histoire de l’art, on a l’impression que c’est une succession de faits d’individus qui ont été géniaux etc. Donc quand tu viens d’une classe plus populaire, et en plus d’un pays qui a été colonisé, tu es sûre que tu ne vas pas retrouver l’histoire de ta famille dans les livres et dans les représentations.” Elle essaie donc d’inclure cette dimension dans son propre travail : “Par exemple dans ma thèse, j’ai décidé d’inclure les danses de la conquête qui sont dansées par les communautés indigènes. Alors que normalement je ne devrais parler que du “grand art”, mais je veux les inclure et les traiter de la même façon dont je parle des autres tableaux. Pour moi c’est assez important cet aspect-là.”

Ce travail lui permet donc de maintenir et d’enrichir ses liens avec le Mexique. C’est aussi un sentiment de responsabilité liée à ses origines ; un héritage, à connaître, honorer, et partager, malgré la fatigue que cela peut engendrer : “J’ai vraiment envie qu’ici en France on entende parler de tout ça. Je me sens un peu responsable, de cet héritage et j’ai l’impression que c’est aussi mon rôle d’utiliser les privilèges de ma culture “dominante”. Par moments c’est fatiguant, je me dis que j’aurai pu faire une thèse, je ne sais pas moi, sur les nuages..! Mais à la fois on en a besoin ; et de toute façon, même si tu fais quelque chose qui n’a rien à voir avec ta culture, tu sais très bien que tu vas rencontrer quelqu’un qui va te ramener à ça !”

Post sur “Les corps des volcans”, sur la légende du volcan Popocatepetl formé par les corps de Popo et Izta. crédits : Sarah Velazquez Orcel (instagram)

Crédit photo:Post sur “Les corps des volcans”, sur la légende du volcan Popocatepetl formé par les corps de Popo et Izta. crédits : Sarah Velazquez Orcel (instagram)

Et cela trouve un écho chez d’autres personnes, comme elle le constate à travers ses interactions avec les personnes qui suivent son travail.

Une communauté intéressée mais à élargir encore davantage

Elle a une communauté assez hétérogène : “C’est surtout des femmes dans ma tranche d’âge. Mais parmi les gens qui m’envoient des messages, il y a à la fois des gens latinxs ici, qui sont content·es de trouver des choses, parce que quand t’es latinx en France, tu as l’impression que t’es seul·e au monde. Et j’ai aussi beaucoup de mères françaises d’enfants latino-américains, ce qui est intéressant : j’ai eu plusieurs messages de personnes qui projettent un peu de leur enfant en moi. Et parfois quand je parle de ma souffrance, il y a aussi certaines personnes qui me disent que leur enfant ne souffre pas, donc qui pensent que maintenant ça a évolué etc.” Un constat qu’elle ne partage pas forcément : quand on est enfant, on n’a pas toujours les mots pour définir ce dont elle peut parler aujourd’hui. “Mais en même temps, ça me permet aussi de faire un peu la paix avec mon histoire : j’ai grandi qu’avec ma mère qui n’avait pas du tout conscience de tout ça. Elle m’a dit qu’elle était désolée parce qu’elle pensait aussi que j’allais bien quand j’étais petite.” Avec son père également, son travail lui a permis d’ouvrir des sujets de discussions : “Lui me parle beaucoup du racisme qu’il a vécu quand il est arrivé en France, ça me permet de pouvoir parler avec quelqu’un qui comprend de quoi je lui parle quand je parle de ça”. 

Enfin, elle constate que son travail est suivi par des personnes déjà intéressées par l’art et l’histoire de l’art, ou qui évoluent déjà dans ce milieu. Un constat qu’elle aimerait pouvoir faire évoluer : “C’est cool mais j’aimerai que l’art soit quelque chose d’ultra accessible. Il faudrait que je réfléchisse à un autre format et ce n’est pas mon premier métier… Il y a pleins de contenus hyper intéressants sur Instagram ou Tiktok ; mais tu remarques quand même que pour la majorité, dans la façon dont on s’exprime, et même en faisant des efforts, on va quand même utiliser un certain vocabulaire. Mais je suis très contente déjà, parce que je pensais que ça n’intéresserait pas grand monde à la base ; je trouve ça hyper intéressant de pouvoir planter des petites graines, même si les plus jeunes vont de plus en plus vers l’art. Mais il faut que les musées s’adaptent : l’art c’est pas seulement esthétique, ce n’est pas qu’un rapport à la beauté. Malheureusement dans les musées ce qui manque, c’est qu’on sort complètement de leur contexte des objets, pour les afficher et pour introduire une sorte de relation de contemplation à des objets qui ne sont pas des objets contemplatifs. Du coup il y a toute une réflexion à ouvrir sur les musées aussi : l’art ce n’est pas que contemplatif.”

Car l’art porte aussi des enjeux de société importants, comme on le voit en deuxième partie de l’entretien : on y aborde la question des pillages d’œuvres pendant la colonisation et leurs demandes de restitutions, mais aussi les enjeux de représentation.

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