Association Neg’Mawon : comment se libérer des roches que peuvent être les traumatismes transgénérationnels ? 

I 05.12.23 I Fanny Larade

Créée en 2022 par la psychologue clinicienne Laura Nina Laventure, l’association Neg’Mawon a pour but de favoriser le partage des connaissances sur l’Histoire liée à l’esclavage et la colonisation mais aussi d’aider à la compréhension de l’origine des traumatismes transgénérationnels afin de vivre aux mieux avec notre histoire. Nous nous sommes entretenues avec cette dernière afin de parler transmission mais aussi du prochain évènement de l’association qui a lieu le 9 décembre prochain.

Créée en 2022 par la psychologue clinicienne Laura Nina Laventure, l’association Neg’Mawon a pour but de favoriser le partage des connaissances sur l’Histoire liée à l’esclavage et la colonisation mais aussi d’aider à la compréhension de l’origine des traumatismes transgénérationnels afin de vivre aux mieux avec notre histoire. Nous nous sommes entretenues avec cette dernière afin de parler transmission mais aussi du prochain évènement de l’association qui a lieu le 9 décembre prochain.

Laura, bonjour! Merci de recevoir Bissai pour nous parler de l’association Neg’Mawon dont vous êtes la fondatrice…

Laura : L’association a été créée en 2022, pour les besoins du projet Renaissance ou Neg’Mawon : l’art du marronage c’est-à-dire que c’est le projet qui a fait naître l’association. J’ai été lauréate d’un appel à manifestation d’intérêt du Ministère de la Culture, auquel j’ai répondu. Me voyant lauréate, il me fallait un organisme qui puisse soutenir ce projet : c’est ainsi que l’association est née et qu’une équipe s’est créée tout autour.

Pourriez-vous rappeler à nos lecteurs.ices la signification du terme « Neg’Mawon », son utilisation aux Antilles et par la diaspora afro-caribéenne et afro-descendante? Qui étaient celleux que l’on appelait les « Neg’Mawon »?

De manière littérale, le « Neg’Mawon » était le rebelle. Celui qui ne respectait pas l’ordre colonial et j’aime le voir comme celui qui partait créer son propre lieu de vie, son propre univers adapté pour lui dans lequel il redevient un être humain. C’était avant tout cela, que les « Neg’Mawon » recherchaient : créer un espace pour eux afin de retrouver leur humanité et leur liberté. Iels pouvaient être celleux qui partaient pour se construire seuls et collectivement. Celleux qui pouvaient de temps à autre descendre le morne pour répandre le feu et le sang. En effet, une fois échappé le.a « Neg’Mawon » revenait sur la plantation pour aider les autres à s’enfuir. L’usage que l’on a voulu donner au terme « Neg’Mawon » c’est rappeler qu’iel est cet individu qui construit pour lui, pour son bien être. Iel avait cette capacité de s’émanciper des problématiques et de tout l’impact des conséquences de l’esclavage et de la colonisation, que ce soit au niveau psychologique ou au niveau de son ADN. D’ailleurs, Eugénie de Saconome qui fait partie des intervenants du 9 décembre prochain, a montré grâce à la biologie qu’iels étaient des personnes qui arrivaient à casser les branches de l’ADN sur lesquelles étaient inscrits ces traumatismes. Et c’est en résonance avec cette image là que l’association porte le nom « Neg’Mawon », avec cette idée d’amener de la compréhension sur l’impact et les conséquences de l’esclavage et de la colonisation afin d’apporter des outils d’auto-réparation puis de réparation collective. 

Laura Nina Laventure

Il y a effectivement une belle réappropriation du terme par les afro-caribéens.ennes et afro-descendants.es qui revendiquent cette émancipation de leur condition et de vivre collectivement en étant libres et noirs.es. C’est quelque chose de très fort et imprégné dans l’identité culturelle afro-caribéenne aujourd’hui. Votre association est avant tout un espace dédié aux scientifiques ainsi qu’aux artistes et artisans qui souhaitent partager leurs connaissances et productions artistiques liées à la réalité de leurs territoires et à leurs conditions en tant qu’afro-caribéens.ennes et afro-descendants. Que pourriez-vous nous dire concernant cet accompagnement que vous proposez par cette mise en avant de l’Histoire et les créations nées de cela?

L’idée était de créer un dialogue interdisciplinaire, dans le sens où toutes les disciplines ne se croisent pas. J’ai imaginé des connexions entre chaque discipline afin qu’elles s’apportent et se complètent dans le but d’actualiser les données sur l’impact et les conséquences de l’esclavage et de la colonisation. Avec cette idée qu’il y a des données avec lesquelles le public n’est pas d’accord, notamment lorsque l’on interroge sur ses conséquences et que certains.es ne comprennent pas qu’il puisse y avoir des impacts sur les afro-descendants.es. Et pourtant, il existe bel et bien des conséquences et des impacts que l’on ignore et dont on a oublié la source à l’origine. Lors de l’évènement du 6 – 7 mai, l’un des historiens présent a simplement dit quelque chose qui a résonné chez une participante présente ce jour-là et qui s’est effondrée en larmes. À cet instant, je me suis dit que c’est aussi cela le pouvoir de la prise de conscience : sortir de quelque chose que l’on ne sait pas inconfortable et pouvoir en sortir en comprenant l’impact de cette inconfort. Notre parcours personnel est potentialisé par les blessures et deuils insurmontés et non résolus de nos ancêtres. Aux Antilles nous disons que nous « butons sur des roches », et j’aime dire que chacun.e traîne « ses roches », que nous trouvons dans nos liens familiaux et que tant que nous n’avons pas buté dessus, on ne sait pas ce que c’est. Le problème est que si nous n’en avons pas conscience, cela peut faire extrêmement mal. Certains.es ne se relèvent pas et développent de très graves maladies psychologiques et psychiatriques qui me questionnent et par rapport auxquelles je me dis que nous n’avons pas besoin d’en arriver à de tels extrêmes. Il suffit de prendre soin de ses liens familiaux, et la généalogie fait partie des outils que l’association propose pour cela.

En tant que psychologue clinicienne, comment avez-vous compris qu’il y avait un réel besoin par rapport à la compréhension des traumas transgénérationnels vécus par certains.es ?

 J’aime souvent dire que mon cabinet est un laboratoire ouvert. C’est en son sein que j’ai vu des histoires qui se répétaient et des personnes passées que je voyais déjà en Martinique, et je me disais que c’était fou qu’autant d’années après j’entende toujours ces histoires. Des choses qui se jouent comme si personne ne les regardaient et pourtant tout le monde s’en plaint. Je me suis donc demandé à quel moment on regarde cela et d’où ça vient? En tant qu’étudiante, la majorité de mes mémoires de psychologie ont concerné ces histoires là. L’intitulé de mon premier mémoire était d’ailleurs le Retour de l’enfance : avec l’idée que s’intéresser à sa généalogie va avoir un impact majeur et essentiel sur sa psychologie. On parle d’un travail de symbolisation en remettant du sens et des images ainsi que des histoires sur des choses qui n’en n’ont pas. Ce travail est nécessaire à mettre en place lorsque l’on parle de choses aussi profondes, délicates et inaccessibles que ces impacts là. Je n’ai malheureusement pas eu assez de latitude pour mes recherches car il fallait que je rende un mémoire, que cela plaise au directeur de recherches. Frustrée, je me suis posée la question pendant des années. Et plutôt que de faire de la recherche en ayant pas de recul, j’ai commencé à rechercher des auteurs pas publiés ou des personnes qui avaient fait des thèses qui n’étaient pas reconnues. Je suis finalement tombée sur des travaux tels que ceux de Cheikh Anta Diop qui a dû publier lui-même sa thèse, mais aussi du Dr Smeralda qui fut pas mal combattu dans le milieu universitaire. J’ai fini par me rendre compte qu’il y avait une Histoire que l’on ne racontait pas et des façons de la raconter qui ne pouvaient être partagées dans les universités.Finalement, mon histoire autour de la recherche sur les populations noires a été une histoire entrecoupée, avec des questionnements et des barrières. J’ai fini par comprendre que quand les choses sont différentes de ce que l’on rapporte habituellement, au premier abord elles peuvent paraître comme absurde puis comme dangereuse. Ensuite, il paraît que cela devient des évidences et c’est ainsi que j’ai poursuivi dans le domaine de la recherche. C’est finalement l’anthropologie sociale qui m’a permis de proposer mon sujet de thèse et qui a le mieux accueilli ma manière de penser autour de nos populations. Je travaille actuellement sur les transformations des identités et du corps. Et c’est ainsi que j’ai compris qu’il y avait un vrai sujet, mais qu’il y avait besoin de fond pour réaliser tout cela. Et c’est pourquoi au sein de l’association nous créons de nouveaux supports pour diffuser ces écrits là. Comme avec le carnet d’enracinement, qui est un carnet qui permet de faire une enquête généalogique. Une bande dessinée accessible aux enfants à partir de 13 ans est en cours également et un ouvrage sera le point final de cette enquête. Tout cela avec différents niveaux de communication de ces éléments et une volonté de toucher autant de public qu’il est possible de toucher.

Quels outils et conseils vous donneriez à destination des afro-caribéens.ennes et afro-descendants.es qui vivraient une crise identitaire? Pourriez-vous nous en dire plus sur le programme de développement personnel et apporter plus de détails sur le carnet d’enracinement?

 Parmi les outils, on va avoir les thérapies dont certaines sont orientées de manière à comprendre tout cela. Il y a des conséquences modernes de l’esclavage et de la colonisation qui sont connues telles que le racisme et les discriminations. Elles partent de la création d’échelles créées notamment pour hiérarchiser les afro-descendants.es qui fut utilisée pendant la période de l’esclavage et qui a toujours des conséquences aujourd’hui comme au travail dans lequel nous sommes le plus exposé. Selon moi, il est intéressant de se questionner sur soi et où nous en sommes par rapport à notre compréhension des traumas. Autrement il y a le carnet d’enracinement qui est une invitation à écrire son histoire familiale et le fer de lance de la découverte de soi, des ascendants.es et de leurs héritages. On ne vit pas de la même manière lorsque l’on se sait descendant.e de chefferie ou d’hommes et femmes esclavagisés. Cela fait parti de notre mission de récupérer ces héritages et d’en faire quelque chose, parce qu’à partir du moment ou cela n’est pas résolu il est possible que des traumas reviennent. Tout ces héritages viennent nous apporter des avantages et nous permettre de comprendre que l’on peut s’identifier à une grande histoire bien plus que celle liée à l’esclavage et la colonisation. Et la généalogie et les outils présents dans le carnet d’enracinement permettent de se rendre compte que l’on peut avoir un soutien et une mise en travail nécessaires de notre récit familial. Mettre en symbolique, mettre en récit permet de se rendre compte de ce qui est inscrit dans notre généalogie et des souffrances, si on parvient à se débarrasser des roches ou marcher dans la puissance de nos ancêtres. On finit par se rendre compte que les différences entre le récit initial et ce que nous trouvons après peuvent être thérapeutiques. Au travers de ces différences, l’enfant que nous étions qui vivait des histoires peut faire des arrangements qui représentent comment il a vécu des situations et comment ça a pu l’impacter. C’est intéressant de se rendre compte de ce que nous avons pu conserver en nous qui ont crée des traumas personnels, comme des éléments qui nous influencent et qui potentialisent nos blessures personnelles alors qu’il s’agit de traumas transgénérationnels. Toutes ces prises de conscience imbriquées permettent véritablement de réconcilier le passé avec le présent ainsi qu’avec le futur, car nous restons des êtres désirants qui souhaitent vivre agréablement. Nous défaire de ce passé là, nous permet de savoir qui nous sommes et agir. 

En tant qu’afro-caribéens.ennes et afro-descendants.es vivant toujours sous le joug de la France, il est essentiel d’affirmer notre identité culturelle. Peut-être pourriez-vous rappeler la définition du mot « créole »?

Le mot « créole » à l’origine signifie « blanc ». Les créoles étaient des blancs qui sont partis dans les colonies et qui étaient plus mates de peau contrairement à ceux restés en Occident qui avaient conservé un teint de porcelaine. Ces blancs là n’étaient pas considérés comme étant purs. Et on savait pertinemment que des viols avaient lieu sur les plantations et que le fait qu’ils étaient en contact avec les populations esclavagisées faisaient d’eux des impurs, avec des enfants qui étaient les fruits de ces viols. Des catégories ont donc vu le jour entre les créoles et les « blancs purs ». On le voit dans certains documentaires lorsque des békés expliquent l’importance de garder des blancs de sang pur. C’est une préoccupation qui a toujours été présente chez les colons. Joseph Gallieni avait créé une échelle contenant plus d’une centaine de catégories pour hiérarchiser les noirs et les métisses. Il était vraiment obsédé par cette conservation de la pureté de la race. Il est donc essentiel de se réapproprier qui l’on est et nous ne sommes pas des personnes créoles. J’aime beaucoup la manière dont Ama Mazama se présente, elle dit qu’elle est africaine de la Guadeloupe. Et j’aime dire que je suis africaine de la Martinique, car se sont bien des populations d’Afrique qui ont été déportées ailleurs aux Antilles ou encore en Amérique. Mais libre à chacun.e de se définir comme iel le souhaite mais cela fait référence à là où nous sommes nés.es voire arrachés.es vers là où on a été amenés.es. Cela permet de retracer une Histoire de la connaître et d’en avoir conscience afin de se réapproprier au mieux sa culture, et cela passe par différentes choses dont la langue ou encore les manières de manger, s’habiller, la spiritualité. Quand je retourne en Martinique, certains lieux sont imprégnés d’histoires et je suis toujours émue, car revenir à soi c’est également se rendre compte de ce qu’il y a à l’intérieur de soi. 

Comment est-ce que l’on touche des habitants.es des territoires ultra-marins qui ont déjà conscience de l’importance de la transmission de leur culture ?

À partir du moment où ces personnes sont déjà sensibilisées à ces questions, elles peuvent être intéressées pour voir ce qu’il y a de plus à tirer de l’association. C’est pour cela qu’il y a des mots et éléments que l’on à tendance à mettre en avant, des intervenants.es , comme Garcin Malsa qui fait la marche pour les réparations. La question des réparations est une question qui intéresse déjà et au sein de l’association nous prenons en compte qu’il existe déjà beaucoup de choses. On a conscience qu’il y a des manières de se réparer soi même que ce soit accompagné ou pas par soi même : on parle de réparation individuelle puis collective. Par cette approche, nous pouvons toucher des personnes déjà sensibilisées en leur permettant d’avoir accès à des espaces de paroles avec des professionnels.elles. Il sera possible de donner sa voix pendant l’évènement du 9 décembre avec ce que j’appelle le « migannaj ». Des débats chauds durant lesquels les gens ne sont pas forcément d’accord, mais c’est ce qui enrichit selon nous. Ces évènements nous permettent de sortir la tête de nos recherches et d’échanger avec le public qui lui aussi vient avec un regard qui va nous amener à penser de nouveaux éléments dans le cadre de nos recherches. Les blessures et les traumas non résolus permettent la transmission, mais si on arrête ce travail la transmission ne se fait plus. Elle est pourtant nécessaire pour comprendre ce qu’ont pu vivre les ascendants mais également comme outils pour les prochains. 

Quel est le rapport des acteurs.ices de l’association et le partage de leurs connaissances ?

En général, iels ont beaucoup à dire et transmettre, pour autant iels ont beaucoup de difficulté à faire connaître leur travail. L’accès à la culture n’est pas toujours facilité pour les populations et il n’y a pas d’éducation concernant la santé mentale non plus. C’est pourquoi le musée du quai Branly par exemple, rencontre un franc succès auprès de nos communautés car ils sont spécifiques mais qu’il faut que nous créions ces espaces nous même. Il existe un musée de l’art colonial en Martinique mais il n’existe aucun musée de l’art traditionnel amérindien. Doit-on être surpris? Il y a véritablement un travail d’espace de rencontre entre les artistes et la population locale. Cet évènement est le fruit de la volonté de créer cette rencontre. 

L’art comme premier outil de transmission et comme moyen de guérison notamment à destination des plus jeunes permet de mieux comprendre nos récits. Quel importance à le partage de productions plastiques pour votre association ?

L’art à cette capacité de sublimerce qu’il y a à l’intérieur de soi qui est difficile à dire. On peut ne pas avoir les mots ou pas avoir envie de les dire. L’art est un moyen de dire sans dire mais permettre à quelqu’un de nous comprendre. L’art a cette capacité à récupérer ce qui nous fait mal et c’est le message de l’exposition. Certains des artistes seront présents pour échanger avec le public, d’ailleurs certaines des productions qui ne sont pas des tableaux seront des questions de réflexion à destination du public. 

Quelles sont les visions futures que vous voyez pour l’association Neg’Mawon ?

À court ou moyen terme, ce serait de créer un laboratoire dédié, peut-être en Martinique dont je suis originaire. Comme ceux qui existent déjà comme la savane des esclaves qui a cette volonté de préservation et reproduction des conditions de l’esclavage et de la colonisation. Laisser une place essentielle aux artistes qui travaillent sur ces questions en ne les enfermant pas dans des normes ne leur correspondant pas en créant un lieu de conservation de la culture, des mémoires et de l’histoire. Continuer les productions littéraires notamment avec la bande dessinée en voyant si c’est un format qui plaît et potentiellement créer toute une littérature autour des sciences humaines à destination des tout petits. 

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