La santé mentale des personnes racisées: de la violence au quotidien

I 16.12.23 I Melissa Dehili

Lorsque nous abordons la question de la santé en tant que personnes racisées, on nous rétorque assez souvent: “ce n’est pas pour nous”.  Pourtant notre quotidien est composé de micro-agressions et de violence qui chaque jour affectent un peu plus notre santé mentale,  mettre des mots dessus nous permet de mieux comprendre notre situation face à cela.

Lorsque nous abordons la question de la santé en tant que personnes racisées, on nous rétorque assez souvent: “ce n’est pas pour nous”.  Pourtant notre quotidien est composé de micro-agressions et de violence qui chaque jour affectent un peu plus notre santé mentale,  mettre des mots dessus nous permet de mieux comprendre notre situation face à cela.

Le traumatisme racial: entre histoire et expériences

Le traumatisme racial connaît deux dimensions: l’expérience du racisme et la transmission des traumatismes de nos aïeux et aïeules ( guerres, les violences liées à la colonisation ou encore l’esclavage). En ce qui concerne la transmission, cela est de plus en plus étudié en biologie à travers notamment l’épigénétique.  Il y a donc une dimension transgénérationnelle, tout cela se transmet notamment via une modification des gènes.

Nous avons des études au sujet de la transmission des traumastismes des survivants de l’Holocauste ou encore de guerres, d’ailleurs nous pouvons retrouver le témoignage de plusieurs scientifiques confirmant ce postulatPar la suite, les expériences du racisme constituent des traumatismes supplémentaires qui s’ajouteront peut-être  aux traumatismes passés. Par ces expériences qui peuvent être verbales, physiques ou même symboliques, nous pouvons observer des symptômes de stress post-traumatique dans certains cas d’après Deanne SIMMS Docteur en psychologie.

Au-delà du racisme dans sa forme la plus violente, il y aussi ces micro-agressions, le nano-racisme comme peut le nommer Achille Mbembé ces petites remarques qui prises isolément peuvent paraître anodines mais qui cachent tout de même un racisme, leur accumulation joue sur notre santé mentale. Achille Mbembé définit le nano-racisme comme “une forme narcotique du préjugé de couleur qui s’exprime dans les gestes apparemment anodins de tous les jours, au détour d’un rien, d’un propos en apparence inconscient, d’une plaisanterie, d’une allusion ou d’une insinuation, d’un lapsus, d’une blague, d’un sous-entendu et, il faut bien le dire, d’une méchanceté voulue, d’une intention malveillante, d’un piétinement ou d’un tacle délibérés, d’un obscur désir de stigmatiser, et surtout de faire violence, de blesser et d’humilier, de souiller celui que l’on ne considère pas comme étant des nôtres “ 

Une accumulation quotidienne qui pèse mais si l’on souhaite souligner le problème de ces petites interactions violentes, on va nous rétorquer que nous n’avons pas d’humour ou que ce n’est rien délégitimant ainsi  nos émotions. 

Le poids de la charge raciale

Le terme “charge raciale” est notamment évoqué par Rachid Bagaoui et également Maboula Soumahoro en s’inspirant des travaux de W. E. B. Du Bois avec la notion de double conscience abordé en 1903 dans son ouvrage Les Âmes du peuple noir (The Souls of Black Folk) ou encore de Frantz FANON qui aborde sans cesse le rapport qui peut avoir entre les blancs et les non-blancs dans un contexte colonial. En se regardant à travers les yeux d’une société blanche cela entraîne une pression supplémentaire qui nous pousse à anticiper ou “adapter” notre comportement afin de subir le moins de violence possible: 

  • Checker si un pays est raciste avant de réserver ses vacances,
  • Sourire plus souvent pour éviter “d’effrayer” une personne 
  • Faire en sorte d’être extrêmement présentable pour éviter une discrimination 
  • Garder son calme pour éviter que l’on nous reproche notre côté agressif, ou tout simplement aller à l’encontre des stéréotypes à l’égard de notre communauté afin de ne pas les confirmer, plus communément appelé  la menace du stéréotype

En tant que personnes racisées nous prévoyons des éventualités afin d’éviter des situations de violence. Comme a pu le préciser Maboula SOUMAHORO dans son essai  Le Triangle et l’Hexagone: Réflexions sur une identité noire,  la charge raciale c’est également  une   “tâche épuisante d’expliquer, de traduire, de rendre intelligibles les situations violentes, discriminantes ou racistes”.Nous devons sans cesse expliquer en quoi une situation est problématique et en quoi cela peut nous affecter, dans le meilleur des cas la personne en face nous comprend et prend en compte nos émotions, au pire nous faisons face à une personne complètement hermétique à notre discours en invoquant l’humour ou notre sensibilité… 

Une violence médiatique et politique banalisée

Les médias et les politiques tiennent des propos de plus en plus violents et racistes, cela est d’ailleurs dénoncé par l’association AJAR (Association des journalistes antiracistes et racisé·e·s)  qui dénonce ce traitement raciste de l’information mais également le racisme au sein même des médias. Ce constat n’est pas nouveau, nous le retrouvons dans le rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH en 2019): “L’’année 2019 n’a pas été épargnée par les polémiques et les «dérapages» racistes qui ont occupé l’espace médiatique, dans le cadre d’un contexte propice aux relents de discours stigmatisants et xénophobes (durcissement des politiques sécuritaires, débats récurrents sur l’islam ou encore sur la laïcité, « crise migratoire », etc.)” “Au nom d’un droit au « politiquement incorrect », des propos discriminants, stigmatisants, voire racistes, sont régulièrement tenus par certains éditorialistes ou chroniqueurs, sans que la contradiction leur soit toujours portée.”

Il y a une recrudescence de ce type de propos en période de crise car il faut bien  un bouc émissaire… Les temps sont de plus en plus durs et les discours se durcissent également, ce flux d’informations continu nuit à l’image que nous pouvons avoir de nous même et provoque beaucoup d’inquiétudes quant à notre avenir. D’ailleurs l’humoriste Riadh Belaïche a pu réaliser une vidéo qui a fait sensation sur Tiktok mettant en avant une crainte de plus en plus présente chez les personnes racisées: sombrer dans l’extrémisme.  Face à ce traitement médiatique raciste et violent, nous sommes confronté.e.s à une remise en question de nos identités,  la psychiatre Fatma BOUVET DE LA MAISON dans le cadre du documentaire “ Je me suis fait la guerre, ou comment être un bon arabe”  a pu enregistrer des séances avec ses patient.e.s qui nous partagent leur mal-être face à un racisme de plus de plus en présent sur la scène médiatique. 

Et la thérapie ?

L’intellectuelle afro-féministe Audre Lorde avait pu écrire : “Prendre soin de moi ne tient pas de l’indulgence égocentrique, mais de l’auto-préservation et c’est un acte de combat politique.” Il y a aujourd’hui une prise de conscience au sujet de la santé mentale, nous nous rendons compte de nos limites et notre besoin d’accompagnement notamment chez les femmes même si cela commence à s’étendre aux hommes ( les injonctions à la masculinité du patriarcat ralentissent l’essor de ce phénomène). Nous notons que de plus en plus de personnes préfèrent échanger avec  des professionnel.le.s de santé racisé.e.s afin de pouvoir se soigner dans un espace safe, en groupe ou individuellement. La thérapie est un moment durant lequel nous baissons notre garde, nous nous mettons dans une position de vulnérabilité et nous ne voulons pas que notre charge raciale joue son rôle régulateur,  nous sentir en sécurité et compris.e. 

Et si aujourd’hui on décidait de mettre nos émotions et nos blessures au premier plan  et ne pas culpabiliser de le faire, voici quelques idées: 

  • Ne plus prendre des pincettes pour ne “heurter” une personne qui a eu des propos déplacés et/ou racistes à notre égard.
  •   Ne pas avoir peur d’utiliser les termes “raciste”, “islamophobe”, “antisémitique”… pour qualifier des propos qui le sont.
  • On ne représente pas notre communauté.
  •  Ne pas faire de la pédagogie pour expliquer en quoi une remarque est raciste parce que nous n’en avons  pas envie.

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