Immigration, travail et dignité : 5 exemples de luttes sociales dans l’histoire de l’immigration post-coloniale

Grève contre les licenciements de l’usine Simca de Poissy, 1983. Crédits : Gérald Bloncourt / Musée National de l’Histoire de l’Immigration (source : site du MNHI)

I 17.04.23 I Zeïneb

« Immigration, travail et dignité », c’est un format de zooms sur des mobilisations socio-professionnelles ayant marqué l’histoire de l’immigration post-coloniale que l’on vous a proposé sur Instagram. Cette sélection non exhaustive vise à présenter des moments de mobilisation inédits dans leur forme, issue ou ampleur. Elle s’appuie sur les ressources et collections du Musée National de l’Histoire de l’Immigration, notamment le portfolio “Les luttes s’affichent !”, ainsi que les travaux du Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s (GITSI) et les archives et travaux de l’agence de presse IM’média, spécialisée sur l’histoire de l’immigration et des mouvements sociaux.

« Immigration, travail et dignité », c’est un format de zooms sur des mobilisations socio-professionnelles ayant marqué l’histoire de l’immigration post-coloniale que l’on vous a proposé sur Instagram. Cette sélection non exhaustive vise à présenter des moments de mobilisation inédits dans leur forme, issue ou ampleur. Elle s’appuie sur les ressources et collections du Musée National de l’Histoire de l’Immigration, notamment le portfolio “Les luttes s’affichent !”, ainsi que les travaux du Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s (GITSI) et les archives et travaux de l’agence de presse IM’média, spécialisée sur l’histoire de l’immigration et des mouvements sociaux.

Les luttes sociales de l’immigration ne sont pas une sous-catégorie des mobilisations qui ont jalonné ces cinquante dernières années ; certaines d’entre elles sont pionnières dans la revendication et l’acquisition de droits sociaux. Leur particularité est qu’elles sont au croisement de revendications concernant les conditions de travail, mais aussi les enjeux des politiques menées par l’État en matière d’immigration depuis le milieu du XXe siècle, ainsi que la lutte contre le racisme.

Travail et immigration : le tournant post-colonial

La présence de main d’œuvre immigrée est un phénomène important dès le XIXe siècle en France. Avec la création de l’Office National de l’Immigration en 1945, l’État prend en charge l’organisation de l’immigration dans le contexte des Trente Glorieuses où le besoin de main d’œuvre donne lieu au recours à l’immigration massive de travailleurs étrangers, en particulier issus des colonies ou anciennes colonies. 

France 1963. Travailleurs portugais travaillant sur un chantier. Crédits : Paul Almasy/AKG-images/MNHI (source : site du MNHI)

Usine Renault de Flins, 1975. Crédits : Berretty/Rapho/Eyedea » (source : site du MNHI)

C’est dans le cadre de cette immigration post-coloniale que s’opère un tournant dans les mobilisations socio-professionnelles : la lutte contre les discriminations en devient une dimension essentielle, notamment face aux conséquences de l’évolution des politiques publiques vis-à-vis des travailleurs immigrés.

Affiche d’un collectif de mouvements et organes de presse de gauche produite fin 1973. Crédits : Musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration (source : site du MNHI)

Les « années 68 »

La présence de main d’œuvre immigrée est un phénomène important dès le XIXe siècle en France. Avec la création de l’Office National de l’Immigration en 1945, l’État prend en charge l’organisation de l’immigration dans le contexte des Trente Glorieuses où le besoin de main d’œuvre donne lieu au recours à l’immigration massive de travailleurs étrangers, en particulier issus des colonies ou anciennes colonies.En mai 68 déjà, on voit la participation de travailleurs étrangers à certains mouvements de grèves, de même que des revendications pouvant concerner spécifiquement leurs droits :

Affiche de l’atelier populaire de l’École des Beaux-Arts, mai 1968, Musée national de l’histoire de l’immigration (source : site du MNHI)

Mais c’est la décennie 1970 qui marque un tournant en termes de mobilisations par et pour les travailleurs immigrés. Qu’elles soient victorieuses ou non, elles sont inédites en termes de forme, d’ampleur ou de revendication. Nous l’avons vu avec l’exemple de la grève des usines Peñarroya en 1971-1972 : cette grève est menée de manière inédite par les ouvriers à majorité maghrébins des usines de plomb Peñarroya. Ils portent des revendications d’amélioration de leurs conditions de travail et de logement, mais également celle d’un « droit à la santé » comme souligné par la sociologue Laure Pitti (“Penarroya 1971-1979. ‘Notre santé n’est pas à vendre!’”, Plein droit (GITSI), 2009).

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Crédit photo : Michel Leclercq

De fortes mobilisations au début des années 1970 : les circulaires Marcellin-Fontanet

Le début de la décennie 1970 marque un tournant dans les politiques menées par l’État en matière d’immigration avec les circulaires Marcellin-Fontanet : elles tendent officiellement à régulariser davantage l’immigration en conditionnant l’octroi de papiers à un contrat de travail jugé suffisant, qui doit être accompagné du fournissement d’un logement par l’employeur. « Mais sous couvert d’un retour à la philosophie de 1945 (ajuster l’accès à l’emploi des immigrés aux besoins du marché du travail français), elles précarisent la situation des travailleurs étrangers dont le droit au séjour est perpétuellement susceptible d’être remis en cause. » analyse la juriste Danièle Lochak dans un article consacré à l’histoire de ces circulaires (au sein du n°1330 de la revue Hommes et migrations, 2020). De plus, ces conditions rendent la situation des travailleurs totalement dépendante de leur patron : « cette obligation imposée à l’employeur, apparemment favorable au travailleur, le met en réalité dans une situation de dépendance accrue par rapport à son patron, puisque, s’il perd son emploi, il perd aussi son logement et son autorisation de séjour. » souligne Danièle Lochak. Ces nouvelles réglementations mettent donc des milliers de travailleurs sous le risque d’une expulsion en prétendant régulariser un état de fait qui dure alors depuis des années.

Affiche de l’Atelier populaire, appelant à une manifestation contre les circulaires Marcellin-Fontanet en mars 1973. Crédits : Musée national de l’histoire de l’immigration 

Face aux circulaires Marcellin-Fontanet se met en place une mobilisation de grande ampleur des travailleurs, soutenus par des associations et syndicats. Des grèves de la faim sont notamment menées pendant plusieurs mois par des personnes menacées d’expulsion. Cette période de mise en lumière des luttes des « sans-papiers » marque le début d’une longue série de luttes et grèves de la faim autour de ces enjeux qui demeurent centraux aujourd’hui encore. La mobilisation des années 1971-1972-1973 porte ses fruits puisqu’en 1973, les circulaires sont suspendues, et deux ans plus tard, les principales dispositions qu’elles prévoyaient sont annulées par le Conseil d’État. 

L’année 1973 

C’est dans ce contexte qu’a lieu la grande grève contre le racisme de 1973. Initiée par le Mouvement des Travailleurs Arabes, elle vise à répondre à l’explosion du nombre de crimes racistes qui a lieu cette année-là. La revendication centrale de cette mobilisation est inédite puisqu’elle ne concerne pas les conditions de travail à proprement parler mais plus largement le respect des droits et de la dignité humaine des travailleurs. La grève comme moyen d’action visant à rappeler que si l’économie française a alors besoin de la main d’œuvre que représentent les travailleurs immigrés, ceux-ci n’acceptent pas les crimes et traitements racistes.

Affiches appelant à la grève contre le racisme de septembre 1973. Crédits : SONUMA, archives audiovisuelles belges 

Les grèves de loyers dans les foyers : la grande mobilisation dans les foyers Sonacotra

La même année, la lutte pour la dignité des travailleurs s’étend également à la question de leurs conditions de vie dans des foyers vétustes : des grèves de loyers sont menées, dont la plus importante est la grève des loyers des foyers Sonacotra (qui est la principale société de gestion des foyers). La sociologue Mireille Galano souligne qu’il s’agit de « la plus grande lutte dans le secteur du logement en France, et peut-être en Europe » et qu’elle « demeure unique par son ampleur (jusqu’à 20 000 grévistes dans toute la France), sa durée, ses revendications (baisse des loyers, reconnaissance des comités de résidents, fin des contrôles « racistes »), et surtout l’organisation strictement autonome des immigrés qui mirent en place des formes originales de lutte. » (“Une lutte exemplaire” dans “Immigration, trente ans de combat par le droit”, Plein droit (GITSI), 2002).

Affiche de l’atelier sérigraphique du Centre expérimental de Vincennes, 1976. Crédits : Musée national de l’histoire de l’immigration (source : site du MNHI) 

La problématique de la sous-traitance : l’exemple des nettoyeurs du métro en 1980, une grève victorieuse et médiatisée

Meeting des nettoyeurs du métro après l’issue victorieuse de leur grève, 15 avril 1980. Crédits : Jean Pottier / Musée National de l’Histoire de l’Immigration (source : site du MNHI) 

En 1980, la problématique toujours prégnante aujourd’hui de la sous-traitance est mise en lumière avec la médiatisation de la grève des nettoyeurs du métro parisien : cette grève de quarante jours aboutit à la revalorisation des salaires et l’amélioration des conditions de travail des nettoyeurs pour la plupart d’origine subsaharienne, ainsi qu’un accord leur prévoyant le droit de séjourner dans leur pays d’origine pour une certaine durée avec la garantie de retrouver leur emploi à leur retour. 

Femmes de chambre en lutte : sous-traitance et féminisation du secteur du nettoyage

L’enjeu de la sous-traitance dans le secteur du nettoyage n’en reste pas moins central : “dans les années 2000, des mouvements de grève atypique des femmes de ménage vont faire parler d’elles, et révéler la féminisation accrue de ce secteur du nettoyage”,  analyse Mogniss H. Abdallah dans un article revenant sur les différentes étapes de cette mobilisation (Frotter, toujours frotter, c’est fini, il faut payer”, Plein droit n°87, 2010). Les conditions de travail des femmes de chambre et des femmes de ménage d’origine immigrée donnent ainsi lieu à des revendications dont le premier exemple inédit est la grève des femmes de chambre du groupe Accor, en 2001.

Une de Libération, 11/04/2002. Source : site du documentaire Remue-ménage dans la sous-traitance

Une de Libération, 11/04/2002. Source : site du documentaire Remue-ménage dans la sous-traitance

Par les moyens d’actions mis en place par les grévistes et par son issue, elle constitue un exemple pour les grèves des femmes de chambre qui ont lieu durant tout le long des années 2000 et 2010. Autant de mobilisations qui s’inscrivent dans la continuité des luttes menées depuis les années 1970.

Les Chibanis marocains de la SNCF : une lutte récente qui remet en lumière l’histoire de l’immigration des Trente Glorieuses

Recrutés au Maroc dans les années 1970-1980, les Chibanis (“personnes âgées” en arabe) sont plus de 800 à poursuivre en justice la SNCF dans les années 2000 pour faire valoir les droits qui ne leur ont pas été accordés durant leur carrière et leur retraite, en vertu d’un statut différent de leurs collègues français. Au terme de plusieurs années de procédure, la SNCF est condamnée pour discrimination en 2018. 

Ce procès historique et très médiatisé met alors en lumière les histoires et parcours des Chibanis. En cela, cette mobilisation a montré combien l’histoire des travailleurs immigrés des Trente Glorieuses peut soulever des enjeux encore actuels. 

« Immigration, travail et dignité : 5 exemples de luttes sociales dans l’histoire de l’immigration post-coloniale », un format à retrouver sur Instagram.

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