CHRONIQUE D’ÉTÉ

FEUILLETON MAROCAIN

 Ramadan Muslim [1]

Feuilleton marocain : Alifoun, baoun, taoun...

Crédit photo : Zahra Allouche-Binet

I 21.07.23 I Zahra Allouche-Binet

Ramadan Muslim- Feuilleton marocain n°4

par زهرة

Ces derniers jours, c’était l’Eid. 

Comme la langue, la religion s’est transmise à la maison par le Ramadan. Le mois sacré était notre lien annuel au Maroc depuis l’hexagone. Un quotidien blanc perturbé par un ftour[2] en fin de soirée à l’époque des ruptures du jeun au début de l’été, un téléphone en circulation dans la maison, un 3idkoum mbrouk[3] timide, un cœur des poumons ou du foie jusqu’à l’infini dans nos assiettes.

L’an dernier j’ai appris l’existence des ramadan muslims. Souvent de deuxième génération et toujours de confession musulmane, la pratique de la religion se résumerait à la pratique du Ramadan pour certains d’entre nous, diasporic muslim kids. Le reste de l’année, le reste des préceptes peuvent varier aux grès des convenances[4] presque comme perpétuation d’une tradition qui conforte un sentiment d’appartenance pour les enfants de troisième culture[5], mais qui tend à s’effacer dans ce nouvel espace-temps de l’immigration. 

Alors cette année c’était mon vrai, premier, entier Ramadan au Maroc. À croire que les Ramadans d’autre part sont faux. Et ces derniers jours, c’était aussi mon vrai grand Eid. À croire que celui-ci était plus mérité que les autres. Dans ma famille, on m’explique les rituels comme-ci je ne les connaissais pas 23 ans plus tard. On me prend et on m’apprend. À croire que la pratique de l’Islam en France n’est ni viable ni valable.

Il faut dire que ma première jummuah[6] c’était il y a quelques mois. Ni au Maroc, ni en France, ni avec les femmes de ma famille. C’est en partant sur le troisième continent – l’Amérique du Nord et avec une amie. J’ai compris le sentiment d’appartenance. Des ftour collectifs, des mosquées genrées ou mixtes au sein même des universités, des communautés, le tout organisé par des associations musulmanes – les fameuses Muslim Student Association (MSA). J’y ai découvert la tolérance, l’inclusion et la pratique non-censurée de la religion. 

Et puis, il y a quelques mois, à la sortie de la Basilique du Sacré-Cœur de Paris une réflexion avec un ami américain chrétien orthodoxe d’Orient – une question commune face à l’expérience de la religion : est-ce par la pratique de nos religions que l’on fait communauté ou c’est parce qu’il y a communauté que l’on pratique la religion ? Nous deux excentré.e.s des pays d’où l’on hérite la foi, c’est en rencontrant la communauté religieuse que la pratique a pris sens. Mais n’est-ce pas le but même des religions ? Est-ce que les pratiquer seul.e ne les videraient pas de leur substance même qui serait de réunir et d’appartenir ? 

Cet Eid au Maroc me le montre. Deux jours avant la fête du mouton, les commerces préparaient leur fermeture et les habitants préparaient leur départ vers « les régions ». Depuis l’exode rural de la fin du siècle dernier, une majorité des habitant.e.s des campagnes marocaines sont venu.e.s chercher du travail en ville. L’3id lkbir[7], c’est leurs vacances. Des embouteillages dès 4h du matin la veille, comme les MRE[8] qui partent au bled l’été – « tous à la même heure comme des gnous »[9].

Eid moubarak said.

[1] Musulman pendant le ramadan, concept utilisé majoritairement en Amérique du Nord

[2]Rupture du jeun

[3]Bonne fête

[4]FERRIE, J.,2004, « Chapitre 7. Les rituels de convenances » in : La religion de la vie quotidienne chez les Marocains musulmans (pp. 175-214), Paris, Karthala.

[5]Concept développé pour l’association du même nom @la3emeculture

[6]Prière du vendredi

[7]Le grand Eid

[8] Marocains Résidants à l’Étranger

[9]Jamel Debouzze, Enfin c’est les vacances (2008)

Ouezzane, le 29 juin 2023

Et d’ici, justice pour Nahel, on ne dissout pas un soulèvement, 

la Palestine vivra la Palestine vaincra 

زهرة

 

Française et Marocaine, Zahra Allouche-Binet est chercheuse, diplômée de la Haute École des Arts du Rhin et de l’Institut d’Ethnologie, à Strasbourg. Début 2020, elle commence une enquête au Maroc sur les espaces liminaux – des objets entre « art » et « artisanat » aux conditions diasporiques des descendants d’immigré.e.s. En parallèle, elle est critique culturelle et écrivaine pour Bissai Media et Dune Magazine. Pour encore plus de contenu de Zahra, rdv sur son site internet allouchebinet. com

Zahra Allouche-Binet