CHRONIQUE D’ÉTÉ

FEUILLETON MAROCAIN

La traversée

Crédit photo : Zahra Allouche-Binet

I 09.06.23 I Zahra Allouche-Binet

La traversée - Feuilleton marocain n°1

par زهرة

« La route du bled », celle que l’on faisait le 15 juillet sous la nuit du matin, vers 4h, « pour éviter les bouchons » et arriver le plus vite possible en Espagne, comme si la frontière annonçait le vrai départ. Le coffre de toit, les jambes recroquevillées par les sacs de jouets de peur de s’ennuyer, assises sur des serviette de toilette pour ne pas salir les sièges, le tapis de prière sur la planche arrière et des cartons de gel douche et de café dans le coffre que l’on partait acheter la veille en catastrophe sur la route après le traditionnel repas chez papi et mamie histoire de leur laisser les derniers aliments périssables du frigo. La voiture était chargée au beau milieu de la nuit par superstition, entre Tetris et tension.

Puis les dernières vérifications : débrancher l’électroménager et toutes les multiprises, éteindre les lumières et fermer les volets, donner à manger aux chats avant de déposer les clefs dans la boîte aux lettres des voisins. Mon père s’impatientait dans la voiture en triant les CD d’avance pour faciliter les transitions musicales sur la route. Nous nous lancions sur l’autoroute sous l’air d’un faux doute – « t’as coupé le gaz j’espère ! », « et les passeports ? », « t’es sûre que t’as fermé la porte ? ». Ma sœur et moi nous retournions une dernière fois vers la maison pour lui lancer un « aurevoir maison, à dans un mois ». À l’arrière, séparées par la glacière sur le siège du milieu, qui nous servira quelques heures plus tard à jouer au Uno ou au jeu de Sept Familles, nous ne pensions qu’à nos chats que nous retrouverons qu’au 15 août prochain. 

Puis le silence gagna la voiture.

Cette fois mon chat était avec moi dans ma voiture bien moins chargée qu’à l’habitude partant pourtant pour une période indéfinie. Raï n B Fever tournait encore dans une voiture toujours aussi silencieuse qui traversait le pays sans croiser un quelconque compatriote aux sacs quadrillés sur le toit de la voiture ou aux grandes bâches bleues où roues de vélo et autres meubles random dépassaient. J’en ai trouvé quelques-uns à mon arrivée au port.

L’entrée dans le bateau et le début de la traversée.

en Méditerranée du samedi 4 au lundi 6 février 2023

زهرة

La discographie de la bande son par ordre d’apparition :

Abdel Basset, 1h de Coran avec Cheikh Abdel Basset, (1°02’36) 

Warda, Batwanis beek, (14’26)

Leslie ft. Lamine, Sobri (3’34) 

1, 2, 3 Soleils, Ya rayah (7’28) 

Cheb Mami ft. Samira Said, Youm wara youm (4’08) 

Maâti Ben Kassem, Ya bent lmedina (6’34) 

Kenza Farah ft. Najim, Ya Mama (3’38) 

Mohammed El Hayani, Ya sidi an hor 

Oum Koulthoum, Alf leila w leila (41’31) 

Française et Marocaine, Zahra Allouche-Binet est chercheuse, diplômée de la Haute École des Arts du Rhin et de l’Institut d’Ethnologie, à Strasbourg. Début 2020, elle commence une enquête au Maroc sur les espaces liminaux – des objets entre « art » et « artisanat » aux conditions diasporiques des descendants d’immigré.e.s. En parallèle, elle est critique culturelle et écrivaine pour Bissai Media et Dune Magazine. Pour encore plus de contenu de Zahra, rdv sur son site internet allouchebinet. com

Zahra Allouche-Binet