Faire sa place en thérapie: la prise en compte de nos expériences du racisme

I 14.03.24 I Melissa Dehili

En tant que personnes non-blanches nous vivons une expérience en société particulière. Comme nous avons pu le voir dans notre premier article sur la santé mentale, nous faisons face à une violence via nos interactions interpersonnelles mais aussi avec les institutions ou encore au travers des médias. Nous avons pu rencontrer la psychologue Racky KA-SY qui prend en compte compte la dimension raciale lors de ses thérapies et forment les professionnels de la santé à ces questions. 

En tant que personnes non-blanches nous vivons une expérience en société particulière. Comme nous avons pu le voir dans notre premier article sur la santé mentale, nous faisons face à une violence via nos interactions interpersonnelles mais aussi avec les institutions ou encore au travers des médias. Nous avons pu rencontrer la psychologue Racky KA-SY qui prend en compte compte la dimension raciale lors de ses thérapies et forment les professionnels de la santé à ces questions. 

Une volonté d’être compris.e et une exigence quant aux soins

Crédit photo: Nadine Shaabana

« Comme a pu le souligner Racky KA-SY durant notre entretien, lorsqu’elle a lancé son activité pour des thérapies individuelles, il y a environ 4/5 ans, elle avait pour volonté de se rapprocher des individus. Elle fut surprise par quelque chose qu’elle n’avait pas anticipé… beaucoup l’on contacté parce que c’était une femme noire:

« Je comprends à ce moment là que ces personnes ont eu une expérience malheureuse avec un thérapeute blanc par exemple qui ne comprenais pas la dimension raciale ou qui n’estimait leurs expériences à sa juste valeur, en disant “non mais ce n’est pas forcement une question de couleur de peau”, “là vous exagérez”, remettant ainsi en cause leur vécu. »

Le biais raciste et le facteur racial en médecine (généraliste mais aussi mentale) commencent à être intégrés dans les formations. Alors qu’auparavant on ne se posait pas forcément la question. Les professionnels de la santé se veulent “neutres”. Ils pensent donc que des biais racistes ne peuvent pas intervenir dans l’espace de soin. La psychologue Racky KA-SY a pu aborder ce sujet au travers des formations dans les universités mais aussi des formation auprès des professionnel.le.s de la santé:

“Il y un manque au niveau des formations à ce sujet [en psychologie]. Mise à part la psychologie interculturelle, on ne nous a jamais vraiment parlé du fait que les personnes racisées ont une expérience particulière. Notamment avec l’expérience du racisme et des discriminations. Moi je le fais. Les professionnel.le.s avec qui j’échange se rendent compte des limitations de leurs formations, très euro-centrée. On exige de nous de la neutralité or ce n’est pas possible. Notre expérience personnelle interfère avec notre accompagnement. […] Pour le corps médical, ça commence tout juste. C’est très embryonnaire pour le moment. J’ai pu intervenir au sein de la faculté de médecine Sorbonne Université pour des étudiant.e.s de 6éme année [en médecine générale]. On a fait un séminaire sur les liens entre racisme et médecine et ils découvraient la thématique… en 6éme année de médecine. Ce n’était pas forcément enseigné avant. Cela les avait tellement marqué qu’au moins 3 personnes ont décidé de faire leur thèse de médecine sur le racisme.”

Nos systèmes de santé restent encore limités à ce sujet. Mais il y a une prise de conscience du corps médical pour investir ce terrain auparavant délaissé. Des spécialités, des diplômes universitaires et des formations sur ces questions émergent. Il est important d’en parler car le racisme tue: Naomi, Aïcha, Anissa sont les prénoms de jeunes femmes décédées suite à une non prise en charge par les professionnel.le.s de santé. Ce sont les conséquences du « syndrome méditéranéen« , un biais raciste.

Les violences quotidiennes ravivent nos plaies

Crédit photo: Aliaksei Lepik

L’affaire George FLOYD a eu un retentissement international. Les images de sa mort ont fait le tour de monde provoquant des manifestations aux quatres coins du globe, en France y compris. Cet événement a provoqué une prise de conscience comme a pu le préciser Racky KA-SY:

« Depuis George FLOYD, il y a eu une sorte de prise de conscience. C’était extrêmement violent pour beaucoup de personnes. On retrouve cela pour chaque événement. Cet été il y a eu la mort de Nahel, en ce moment le génocide au Moyen-Orient. Les patient.e.s en parlent. Ils/elles parlent de ce qui passe dans l’actualité et ça les affectent beaucoup au point qu’il y a en qui ne veulent plus allumer leur télévision. Ce qui se passe dans la société affecte la santé des personnes concernées et plus largement les personnes qui s’identifient comme personnes racisées. »

Lorsqu’il y a un jeune homme qui meurt, lorsqu’une femme voilée se voit refuser l’entrer dans un lieu, quand un jeune homme est poignardé parce que maghrébin, quand une femme meurt car sa douleur n’est pas prise au sérieux par le corps médical… Tout cela ravive notre douleur, il y a les cas qui sont médiatisés mais il y a aussi ceux de notre quotidien. Notre voisine qui raconte que sa fille est moquée à l’école du fait de sa couleur de peau. Notre ami qui nous raconte comment une dame âgée a pu l’insulter dans les transports…. Tout cela ravive cette plaie douloureuse qui ne cicatrise jamais.

Lorsque nous sommes soumis.e.s à des images violentes nous pouvons nous référer à la notion de traumatisme raciale. Nous le ressentons dans nos corps. Cette exposition nous renvoie à une expérience du passé et ses violences. Notre corps se rappelle de cela et c’est souvent pour cette raison qu’à la vue d’image nous pouvons ressentir un frisson nous parcourir. Nous ressentons physiquement ces violences.

L’épuisement de l’hyper-vigilance

Crédit photo: Lianhao Qu

« Vivre du racisme ça crée du stress. Face à des situations soudaines parfois les gens ne savent même pas quoi répondre. Comment réagir ? Que faire ? Et parfois, on a l’impression que tout se ligue contre nous. Quand une personne subit du racisme au travail et qu’elle essaye d’en parler, il y a des personnes qui ne comprennent pas. Il y a ce sentiment d’impuissance, de stress, d’anxiété voire un risque de dépression. Ça peut se voir avec des symptômes comme la fatigue, des maux de tête, avoir la boule au ventre avant d’aller au travail… La santé mentale et la santé physique sont très liées. Tout cela peut se traduire aussi par un manque de confiance en soi, se renfermer sur soi-même, s’isoler et se dire finalement je ne vais pas intégrer le collectif parce que ça risque d’être violent. Puis il y a un lien “indirect” : la crainte que l’on ressent quand on risque de confirmer un stéréotype négatif à son sujet. Je vais anticiper pour ne pas les confirmer. Je vais adapter mon comportement… et ça je le fais toute la journée. C’est ce que ma thèse a démontré et ce n’est pas forcément dans des situations d’évaluation, de concours ou autres comme décrit dans ma thèse. Cela joue sur notre santé mentale car on va être en hyper vigilance. Et cela crée du stress et de l’anxiété. »

Il y a une hyper vigilance qui s’instaure. Cela fait aussi partie de la fameuse charge mentale que l’on peut appeler charge raciale théorisée par Maboula Soumahoro et abordée récemment par Douce Dibondo. Il y a aussi un phénomène de sur-adaptation qui est devenu une seconde nature pour certain.e.s. Nous faisons des choses automatiquement de par nos expériences du passé afin d’éviter certaines situations. Puis, quand nous faisons face à une situation nouvelle, nous l’intégrons à notre petit carnet d’expériences pour pouvoir y faire face la prochaine fois. En faisant cela depuis le plus jeune âge nous considérons ces “réflexes” comme une norme. Parfois nous en avons conscience, parfois non. C’est le cas du  code switching (alternance codique). Si à l’origine il renvoie à un changement de langue il a pu être élargi à l’effacement d’un accent, d’une manière de s’exprimer mais aussi au niveau du langage corporel.

Beaucoup d’enfants issus de l’immigration optent pour ce “code switching” dès le plus jeune âge par exemple en parlant le français à l’école et leur langue maternelle à la maison. Ces changements semblent naturels mais parfois ils peuvent être source d’un mal-être, comme a pu le préciser Marie Dasylva: cela peut donner l’impression que notre identité doit être cachée et nous pouvons développer une certaine honte. D’ailleurs beaucoup de vidéos humoristiques émergent sur les réseaux sociaux pour aborder ce sujet dans le monde professionnel ou encore lorsque nous échangeons avec une administration en usant de la “white voice” pour ne pas subir de discrimination ou des micro-agressions. Nous retrouvons cela dans la scéne d’un film dans laquelle un homme noir d’âge avancé incite un jeune homme noir à utiliser sa “white voice” en milieu professionnel.

Cette hyper-vigilance est renforcée par le climat violent et la crainte pour son avenir voir même sa vie. Sortir faire ses courses peut-être un danger pour certaines personnes.  Cette crainte est de plus en plus importante et cela se constate aussi en thérapie:

“Ça les affectent au point où ils se renferment sur eux même, ils ont peur aussi. Ils ont un sentiment d’insécurité et sont sur leur garde, dans le sens où ils se disent “ mais qui peut me vouloir du mal”. Il y a donc un fort sentiment d’insécurité, d’impuissance et d’être en danger. […] Les personnes qui ont des enfants, c’est encore très compliqué pour eux de se dire que son enfant dans 10 ans sera peut être tué par la police en raison de sa couleur. Il y a des prises de conscience comme ça qui sont assez violentes, au point que certain.e.s pensent quitter la France car ce n’est plus possible. D’autres ne savent plus quoi faire, en disant qu’ils ne se sentent pas du tout en sécurité.[…] Tous les jours nous avons des polémiques islamophobes et pour les personnes musulmanes c’est hyper dur. […] Les gens sont sensibles à ce qui se dit dans les médias. Ça les affectent au point qu’ils n’en dorment pas la nuit, ils cogitent, ils stressent beaucoup. Ça crée une anxiété et une anxiété sociale qui dure dans le temps. Ce n’est pas comme si c’était un événement circonscrit dans le temps et puis on passe à autre chose. Cette peur presque cette douleur est ravivée à chaque fois qu’il se passe quelque chose les médias. À chaque fois on a l’impression qu’on vise toujours les mêmes”

Cette hyper-vigilance provoque un épuisement mental car nous sommes toujours sur nos gardes. Nous ne savons pas à quel moment nous pouvons nous reposer car même les espaces de soin ne sont pas toujours des “safe places”…

 

 

Crédit photo de couverture : Jesse Donoghoe

D’AUTRES ARTICLES QUI POURRAIENT VOUS PLAIRE