Vietnam-Sur-Lot, le podcast qui parcourt la colonisation, la guerre d’Indochine, le racisme et surtout, qui raconte l’histoire d’immigrant·es 

Crédit photo: AFP – Dominique FAGET

I 01.11.23 I Éléonore Dubray

Alix Douart a eu le courage d’explorer son passé familial en narrant sur six épisodes d’un format de 30 minutes l’histoire de sa famille avant, pendant et après l’ancien camp militaire: le CAFI. Nous avons eu la chance d’écouter l’ensemble du podcast, mais également d’échanger avec elle. Retour sur Vietnam-Sur-Lot et sur l’histoire coloniale se nichant à Saint-Livrade.

Alix Douart a eu le courage d’explorer son passé familial en narrant sur six épisodes d’un format de 30 minutes l’histoire de sa famille avant, pendant et après l’ancien camp militaire: le CAFI. Nous avons eu la chance d’écouter l’ensemble du podcast, mais également d’échanger avec elle. Retour sur Vietnam-Sur-Lot et sur l’histoire coloniale se nichant à Saint-Livrade.

Au début du premier épisode, Alix Douart, la créatrice de Vietnam sur Lot, explique la raison de son envie de créer un podcast à ce sujet. Elle revient sur le CAFI, un ancien camp militaire où sont arrivé·es des rapatrié·es  de la guerre d’Indochine dans les années 50. Ce qui m’a frappé au premier abord, fût le mot “camp militaire” qui est extrêmement brutal. Puis, “Sainte-Livrade-Sur-lot”, lieu du CAFI. Cela m’a rappelé ma propre histoire familiale, celle que mon père a pu me raconter lorsque j’étais petite afin d’expliquer pourquoi nous étions des Vietnamien·nes en France. En explorant un peu plus son podcast, j’en apprenais davantage sur le passé de ces 1200 rapatrié·es d’Indochine dont sa famille et la mienne. 1200 rapatrié·es non seulement constitué·es de personnes d’origines vietnamiennes, mais également des militaires, des tirailleurs sénégalais et des tirailleurs polynésiens. Parmi eux, des femmes ayant eu un enfant reconnu ou non par un Français.

Dans la plupart des cas, les hommes ont eu des enfants avec des Vietnamiennes et souvent ils n’ont pas reconnu les enfants. Lorsque certains les avaient reconnus, ils avaient été ramenés en France avec leurs épouses et enfants, s’y étaient installés et rejoignaient leurs familles, car ils avaient déjà des ressources et avaient pu vivre en dehors du CAFI. Et les enfants avaient grandi en France métropolitaine en dehors du camp. Mais quand il restait des femmes vietnamiennes sans le père, ou qu’il était présent mais sans famille en métropole, malade ou handicapé, comme mon grand-père, elles n’avaient ni familles, ni ressources. La « solution » avait été de les mettre dans des camps le temps de leur trouver autre chose. Et c’est pourquoi dans les camps, la très grande majorité des personnes étaient des femmes seules avec des enfants ou des familles dont le père ne pouvait pas exercer de métier.

Alix Douart

Ce qui est le plus fou, c’est que cette partie de l’Histoire et de l’histoire coloniale française n’apparaît nulle part. Aucune clé n’est donnée aux étudiant·es de l’école française, et encore moins, aux immigré.es de France. Aucune justice n’est rendue suite au traitement des rapatrié·es de guerre dû à la colonisation française. C’est cet effacement qui a animé Alix durant la création de son podcast. Elle a pu recueillir le témoignage d’expert·es, d’historien·nes, de personnes de sa famille ou non, qui ont été impactées de près ou de loin par le CAFI et à la guerre d’Indochine. Ces personnes ont pu lui rapporter les pièces du puzzle de son héritage familial qui s’étaient perdues. Parfois dans les familles immigrées, l’histoire du “pourquoi est-on ici ?” est racontée dans les grandes lignes, voire pas du tout. C’est une histoire appartenant au passé qui est souvent trop douloureuse à raconter. Dans le cinquième épisode de son podcast, Alix interroge sa mère, qui est venue faire une balade sonore au CAFI. Dans un moment chargé d’émotion sa mère abaisse son bouclier et fond en larmes avant de se livrer sur le passé extrêmement dure que sa famille et elle ont pu vivre: les conditions précaires et insalubres des logements, le traitement de l’administration française, le traitement des professeurs envers les élèves, le racisme des blancs envers “les Chinois verts”, l’envoi des enfants dans des familles d’accueil. 

Phong au CAFI (1970-1975)

Ma mère qui a une association de défense de la mémoire du CAFI ne présentait l’endroit que comme un lieu paisible où elle s’était épanouie. La dispute que l’on entend durant l’épisode se passe après une heure vingt d’enregistrement. Quand je lui demandais plus de détails sur le déroulement de ses cours par exemple, elle restait souvent évasive. J’avais face à moi quelqu’un qui avec un discours très politique et quand je lui demandais de me raconter les choses de façon plus intime, elle se cachait. Et c’est ainsi qu’elle fonctionne. Elle évitait également de raconter tout ce dont j’avais déjà connaissance; c’est-à-dire le racisme, les professeurs envoyés au CAFI comme sanction par l’académie, les habitants du village qui les appelaient les Chinois verts etc…

Cet ensemble d’information, nous l’apprenons en même temps que la créatrice lors de l’enregistrement de l’épisode. Lorsque nous avons échangé avec elle, elle a pu revenir sur ce moment, qui est pour elle, le plus dur, le plus enrichissant mais également la pièce du puzzle qui manquait à son podcast. Le pourquoi de la création de son podcast. Ce qu’elle cherchait à comprendre, c’était l’émotion refoulée de sa mère. Cela a pu expliquer pourquoi sa mère tenait tant à ce qu’elle fasse du piano petite, ou qu’elle aille au théâtre. Lorsque enfant sa propre mère était accueillie dans des familles d’accueil typiquement française, elle a pu par exemple découvrir “ce qu’être française” rimait pour les français·es blanc·hes. 

En faisant ce podcast, j’ai fait le constat de ce qu’ont vécu les membres de ma famille en comprenant les conflits que j’avais eu avec ma mère. Plus jeune, je prenais des cours de piano au conservatoire, ce que je détestais. Et comme je ne pratiquais jamais en dehors des cours, elle préférait payer un professeur particulier pour ne pas avoir honte que le professeur dise que je ne faisais pas mes devoirs. Quand on se rendait chez des gens, elle prenait toujours soin de la façon dont j’étais habillée. Et durant le moment pendant lequel elle a craqué, j’ai compris qu’elle avait une sorte de honte d’être elle-même. Que toute la pression ressentie pendant mon enfance était celle du regard de l’autre, et qu’il ne fallait pas que je lui fasse honte moi-même.[…] J’ai fini par commencer à faire des liens entre tout ça et j’ai compris qu’elle avait profondément été marquée par la honte. Ce qu’elle a ressentie est une violence institutionnelle liée à la colonisation.

Crédit photo: Lauren De La Borie

En effet, la famille d’accueil bourgeoise l’emmenait au théâtre, avait une maison bien entretenu, avait des domestiques, parlait la langue parfaitement, était cultivée, etc.  Construire son identité, c’est défoncer des portes” nous a dit Alix. Ces mots résonnent en moi. Le passé, c’est aussi notre héritage, c’est une crypte transgénérationnelle transmise avec des trous à combler, car nous ne parvenons presque jamais à comprendre totalement l’histoire de la colonisation française avec le bagage éducatif donné par l’école de la République. Cependant, notre passé a une force dans le présent des personnes, le passé constitue notre identité. C’est aussi là l’une des raisons de la création du podcast Vietnam-Sur-Lot. 

La mairie de la Sainte-Livrade n’a pas rendu d’hommage à hauteur de l’injustice et de l’histoire des personnes ayant vécu et vivant au CAFI. Connaître l’histoire du camp militaire de Sainte-Livrade, c’est comprendre une partie de l’héritage de l’histoire coloniale vietnamienne. Ce qui a été mon cas. Je n’ai jamais su avant le podcast que mon Grand-oncle et mon Grand-père ont également été au CAFI. C’est une fois le premier épisode écouté que j’ai questionné mon père à ce sujet. Tout comme la mère d’Alix, mon père a une grande carapace et connaître le passé familial est tout un combat. J’ai pu néanmoins connaître les débuts de l’histoire familiale de mon grand-père en France grâce à cela. Tout comme les grand-parents d’Alix, mon grand-père a vécu dans des conditions précaires au camp. Par chance, des amis de la famille l’ont employé rapidement en région parisienne afin de quitter rapidement les lieux. Mais cela me paraît assourdissant de connaître son passé familial par le biais d’autres systèmes éducatifs. 

Fête CAFI 2021

Crédit photo: Lauren De La Borie

J’ai pu confirmer mon apprentissage de l’histoire de la guerre d’Indochine si bien retracé dans le podcast. Et cela fait toujours du bien de réécouter l’Histoire de son pays, comprendre comment l’indépendance du Vietnam a été établi, mais également d’entendre les actes coloniaux commis par la France. Cela fait du bien d’entendre la vérité, et non pas, survoler les histoires coloniales françaises sans attribuer la responsabilité à quiconque, ici, la France. 

Vietnam-sur-Lot est la troisième série du podcast L’Histoire produit par Paradiso Media. Vous pouvez écouter le podcast ici.

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