ENTRE VOUS ET MOI 

Survivre dans le white corporate world quand on est woke

Crédit photo: Christina @ wocintechchat.com

I 21.01.24 I Anonyme

Je suis la première et seule femme noire de mon entreprise. Les personnes racisées se comptent sur les doigts d’une main. Réaliser ça m’a fait me rendre compte que ce n’est malheureusement pas la première fois que je suis la première et/ou seule femme noire dans une boîte (si on enlève les bureaux basés à l’étranger et les freelances).

Je ne me rappelle pas à quel moment j’ai conscientisé le fait que le white corporate world (WCW) était un espace si peu safe pour moi. Peut-être que ça a toujours été ancré en moi. Toujours est-il que j’ai constamment eu du mal à me sentir bien en entreprise. J’ai toujours pris énormément de temps à trouver ma place, pas à cause de mes compétences, mais à cause de ma difficulté à comprendre et suivre les règles du jeu social. Les études m’avaient pourtant déjà appris à code switcher.  Mais même après un stage intensif au cœur de la future élite du white corporate world, il me manquait des munitions pour me sentir comme un poisson dans l’eau en entreprise. 

Le souvenir le plus lointain qui me revient, c’est mon processus de recherche du tout premier CDI. Je me rappelle parcourir les pages entreprises de Welcome to the jungle à la recherche “d’un peu de couleur” sur les photos d’équipe et hésiter à postuler quand la photo était trop monochrome. Même avant d’avoir découvert bell hooks, Kimberlé Crenshaw ou encore Frantz Fanon, je savais qu’il me fallait ne pas être la seule personne issue des minorités pour survivre au taf. 

Des années plus tard, encore plus éveillée sur les questions de justice sociale et raciale, je me retrouve à nouveau catapulter dans le white corporate world et je n’aurais jamais imaginé que ce serait si dur. Dur de gommer une partie de son identité, de la lisser pour ne pas faire de vagues, ne pas se faire d’ennemis, ne pas se faire virer. Ne pas devenir la référente diversité, celle qui saoule parce qu’elle ramène tout à la race dans un monde où on ne voit pas les couleurs. Celle qui se vexe pour rien, l’asociale, la angry black woman

Je pensais qu’être plus armée sur la racialisation, le privilège blanc et les mécansimes de domination qui se glissent insidieusement dans toutes les sphères de la vie sociale m’aiderait à savoir répondre, me défendre. Et pourtant, je suis plus alerte, mais tout autant paralysée. Je suis restée paralysée quand sur mon lieu de travail on m’a pris pour la femme de ménage. Je suis restée paralysée quand on m’a dit que je ressemblais à une femme qui n’a de commun avec moi que sa couleur de peau et la texture de ses cheveux. Je suis restée paralysée quand j’ai entendu à table que le racisme anti-blanc existait. Je suis restée paralysée quand on s’est approchée de moi pendant un apéro pour me demander si c’était ok de faire une imitation de l’accent africain, avant de le faire sans attendre ma réponse. Il n’y aurait pas eu de réponses de toute façon, car j’étais paralysée. KO debout. Terrassée par ces prétendues “micros agressions” qui s’apparentent à des coups de poings qui me réduisent au silence et éteignent petit à petit la lumière qui brille en moi. 

Comment survivre dans le white corporate world quand on passe son temps à aspirer à la fin du système capitaliste, patriarcal et raciste ? Comment survivre parmi les privilégiés quand on passe son temps à dénoncer les privilèges ? J’imagine que la réponse se cache quelque part dans mon porte-monnaie.

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