Se réapproprier nos narrations diasporiques avec Mayasanaa

Crédit photo: Radio Canada

I 17.05.23 I CHIGUECKY 

Il n’y a plus rien à faire pour nous ici” lui dit un jour son père d’origine marocaine, installé en France. Fille d’immigré·es, Mayasanaa en a eu marre de devoir justifier son existence dans une France qui n’arrive pas à assumer son héritage colonial. Marre de devoir justifier qu’elle est Française, mais aussi Marocaine. Qu’on peut être multiple et se réapproprier nos narrations diasporiques sans en perdre pour autant en légitimité, en francité. “Quand tu seras plus stable financièrement, tu vas pouvoir te reposer des questions et repartir dans le partage, la quête identitaire et la revendication politique” lui prédisait son père. Il semble avoir eu raison.

I 17.05.23 I CHIGUECKY 

Il n’y a plus rien à faire pour nous ici” lui dit un jour son père d’origine marocaine, installé en France. Fille d’immigré·es, Mayasanaa en a eu marre de devoir justifier son existence dans une France qui n’arrive pas à assumer son héritage colonial. Marre de devoir justifier qu’elle est Française, mais aussi Marocaine. Qu’on peut être multiple et se réapproprier nos narrations diasporiques sans en perdre pour autant en légitimité, en francité. “Quand tu seras plus stable financièrement, tu vas pouvoir te reposer des questions et repartir dans le partage, la quête identitaire et la revendication politique” lui prédisait son père. Il semble avoir eu raison.

Partir pour se protéger face au racisme systémique

Crédit photo: Ariane Labrèche

Mayasanaa est créatrice de contenu depuis maintenant 10 ans. Sur son blog et son compte Instagram, elle parle de décolonialité, de spiritualité, d’africanité, d’ancestralité pour participer, à son échelle, au changement et la décolonisation des esprits. Ce travail, elle le fait depuis le Québec où elle s’est installée après avoir quitté la France, lassée des discriminations systémiques qui vulnérabilisent les personnes qui en sont victimes. Le racisme systémique n’en n’est pas moins absent au Québec. Peu importe l’endroit, “tu as tout le temps une situation où tu es vulnérable à la discrimination, c’est pour ça que mon processus de survie et de protection c’est de réduire les espaces de socialisation arabe, misogyne, islamophobe” confie Maya. Mais en France, malgré son doctorat, les chances d’avoir un poste à pouvoir décisionnel étaient minimes pour un coût sur sa santé mentale trop important. “Je crois que je change mieux et j’aide mieux ici au changement en France que si j’avais été là”. Professeure de sociologie, Maya sait “qu’à chaque bataille ici, je pars avec des gains et s’ils ne sont pas dans le changement du système, ils sont au moins dans ma salle de classe.”

On m’assigne, mais je n’accepte pas qu’on m’assigne

Crédit photo: Gaialkbira

C’est la répression politique qui va déterminer mon identité parce qu’on ne fait pas la différence entre arabe, musulman, etc. On m’assigne, mais je n’accepte pas qu’on m’assigne.

Mayasanaa

S’éloigner des carcans et des injonctions qui lui ont été assignés a permis à Mayasanaa d’explorer et vivre pleinement son africanité. “Dans mon parcours identitaire, on invalide mon africanité. Être arabe est une double colonisation soutenue par une propagande qui est encore là”. Au sujet de son héritage familial, elle rappelle, “nous on est du Sahara, donc viscéralement Africain.” 

On voit que je suis amazigh, mon corps est totalement africain. Je n’ai rien d’arabe. C’est la répression politique qui va déterminer mon identité parce qu’on ne fait pas la différence entre arabe, musulman, etc. On m’assigne, mais je n’accepte pas qu’on m’assigne.” Ce n’est pas un hasard si le premier tatouage de Mayasanaa représente le continent africain. 

Mes tatouages sont l’expression de mon intérieur, l’aboutissement de ma décolonisation. Comme une carte d’identité.” Comme elle le rappelle, le processus de déconstruction et de quête de soi est un processus évolutif et sans fin “mon identité n’est pas finie, j’ai toute ma vie pour devenir. C’est magique et je contribue à écrire l’histoire en même temps.”

Crédit photo : Sara Hini

Via son contenu, Mayasanaa entend, en effet, proposer un récit alternatif sur l’ancestralité africaine. “On cultive encore ce type de répartition des pouvoirs avec la royauté, wakanda, etc. Mais les rois et les reines, ce sont les premiers esclavagistes. On ne devrait pas valoriser ça. On idéalise les pharaons plutôt que d’explorer l’histoire des gens du désert qui avait une répartition plus équitable du pouvoir.” À travers des petits bouts d’histoires plus justes et moins farfelues, Maya réécrit son histoire. “Au Maroc, même les scientifiques ont participé à la propagation arabe, même les historiens ont réécrit l’histoire.” C’est pourquoi elle aime se tourner vers les éléments qui n’ont pas de conscience humaine. Ces éléments qui n’ont pas été altérés et qui gardent en eux les restes du passé. “Les objets, les tapis, la cuisine, tous ces éléments ont un langage inscrit en eux.

Créer du contenu pour se réapproprier nos narrations diasporiques

Si Maya a commencé le blogging en 2013, c’est vraiment Instagram qui a changé la donne pour l’ancienne journaliste hip hop. C’est en posant pour sa meilleure amie qui avait besoin de mannequin pour promouvoir sa marque que Maya réalise son potentiel photogénique. De là, elle mélange sa vision de la réappropriation identitaire, les enseignements qu’elle partage en salle de classe et son goût pour l’esthétisme pour composer quelque chose d’unique. Le résultat deviendra Mayasanaa.

Crédit photo: Manoucheka Lacherie

Crédit photo: Yvette Cakpo

Crédit photo : Manoucheka Lacherie

Elle utilise depuis son physique agréable à regarder pour conscientiser son public. Sa démarche a d’autant plus de sens que la question du rapport au corps est centrale dans le processus de décolonisation et de réappropriation de son identité et de sa spiritualité. Encore plus quand on ne correspond ni aux canons de beauté, ni à ce que la société attend de nos corps racialisés. Si l’esthétisme occupe une place importante dans sa démarche créative, Maya tient à adapter “les codes esthétiques à son esthétique ancestrale et non l’inverse.”

“Je ne peux pas changer la structure, je fais partie d’un tout. Et j’ai une position privilégiée avec mon média. J’ai une voix qui me permet de participer au changement. C’est comme ça que je me soulage.”

Mayasanaa

Pour Maya, les réseaux sociaux sont devenus des espaces sécuritaires où on peut souffler face à la multi-vulnérabilisation à laquelle nous devons faire face. “Je ne peux pas changer la structure, je fais partie d’un tout. Et j’ai une position privilégiée avec mon média. J’ai une voix qui me permet de participer au changement. C’est comme ça que je me soulage.” Et c’est bien d’un privilège dont on parle, car lorsqu’on doit se battre pour satisfaire ses besoins de base, il n’est pas étonnant que les questions d’identités et de narration collective arrivent en second plan. “C’est sûr que dans nos quartiers défavorisés où il y a de la grande vulnérabilité, l’info décoloniale n’est pas encore arrivée parce qu’on est dans la survie. Il faut d’abord régler les problèmes d’exclusion sociale, améliorer les conditions de vie pour faire place au changement identitaire.”

Pour suivre l’actualité et le contenu de Mayasanaa, ça se passe sur son blog et son compte Instagram.

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