Rima Hassan et l’histoire de l’exil palestinien 

Crédit photo: AFP – Dominique FAGET

I 26.09.23 I Aya Abouelleil

Comment tu te définis?

“J’ai encore à coeur de me définir comme réfugiée palestinienne” me répond Rima Hassan. Arrivée en France à 10 ans, elle a été naturalisée française à ses 18 ans. Aujourd’hui elle a 31 ans, juriste de formation et spécialisée sur les questions migratoires, elle exerce actuellement les fonctions de rapporteur à la Cour nationale du droit d’asile, et est la fondatrice de l’Observatoire des camps de réfugiés (OCR). Dans cet entretien, Rima Hassan nous parle de l’identité palestinienne, sa place en France, les motivations derrière la création de L’OCR ainsi que de son projet artistique Nakba Survivor, entre autres choses.

Comment tu te définis?

“J’ai encore à coeur de me définir comme réfugiée palestinienne” me répond Rima Hassan. Arrivée en France à 10 ans, elle a été naturalisée française à ses 18 ans. Aujourd’hui elle a 31 ans, juriste de formation et spécialisée sur les questions migratoires, elle exerce actuellement les fonctions de rapporteur à la Cour nationale du droit d’asile, et est la fondatrice de l’Observatoire des camps de réfugiés (OCR). Dans cet entretien, Rima Hassan nous parle de l’identité palestinienne, sa place en France, les motivations derrière la création de L’OCR ainsi que de son projet artistique Nakba Survivor, entre autres choses.

L’identité palestienne, une non-identité? 

Rima est née dans le camp de réfugiés palestiniens de Neirab. C’est le plus grand camp de réfugié​​·e·s palestinien·ne·s en Syrie, et se trouve à l’extérieur d’Alep (UNRWA). Il a été établi entre 1948 et 1950 à la suite de la Nakba. Signifiant catastrophe ou désastre, la Nakba représente le déplacement forcé de 700 000 Palestiniens suite à la création de l’Etat israélien en 1948 (Le Monde), “c’est acté qu’on a condamné les palestiniens à une errance: un exil sans fin quoi”. Le choix du terme exil n’est pas anodin, et renvoie à l’obligation, à l’absence de choix. Les arrières grands parents de Rima faisaient justement partie de cette première vague de déplacés qui sont arrivés dans le camp de Neirab. Ses parents y sont ensuite nés, ainsi qu’elle et ses frères et sœurs. Mais naître dans un camp n’a pas été sans conséquences sur sa construction personnelle : “Moi je dis souvent que je suis née dans une non-identité et que j’évolue dans une non-identité”

Souvent, dans un parcours d’exil, l’imaginaire nous rappelle à des lieux auxquels se référer : un lieu de naissance, le village de la maison des grands-parents, le nom d’une rue, d’un parc..mais Rima est née dans un camp en Syrie. Elle n’est pourtant pas syrienne et n’a pas à proprement parlé vécu en Syrie. Elle est bien palestinienne, mais n’a pas connu ses terres. Mais même au-delà de sa propre naissance, Rima explique que les Palestinien·ne·s ne peuvent pas se référer à des lieux de manières générale puisqu’ ils n’existent pas ou plus, ou en tout cas ils ont vocation à disparaître.

“Je n’ai pas ce luxe de pouvoir me dire : j’ai le mal du pays, je rentre chez moi”.

Rima Hassan

Rima Hassan et l’histoire de l’exil palestinien

Crédit photo: Rima Hassan

Dans le contexte vertigineux où leurs racines palestiniennes continuent d’être colonisées, le statut de réfugié vient marquer la suppression de leur identité première, et non pas un statut supplémentaire, je pense que tout naturellement quand on naît dans un lieu comme ça, qu’on naît sans identité, sans passeport, sans carte d’identité, sans quelque chose dont on peut se revendiquer, le statut de réfugié est par définition dans le cas palestinien, pas quelque chose en plus mais quelque chose en moins.”

La création de l’Observatoire des camps de réfugiés : une quête de dignité

Il est assez facile de constater l’énorme méconnaissance des gens sur ce qu’est un camp de réfugiés. Rares sont les personnes qui peuvent en nommer ou en connaître les ressorts, comme le dit Rima, “Le camp nous enferme dans un monde qui n’est pas compréhensible des autres”. Il reste difficile de trouver des informations complètes et de qualité sur les différents camps qui existent dans le monde, et mes recherches pour le besoin de cet écrit l’ont confirmé. En tout cas, il faut savoir qu’il y a 58 camps palestiniens dans le monde, avec 1/3 des réfugié​​·e·s palestinien·ne·s qui y vivent (UNRWA). La place des camps dans l’exil palestinien est donc très importante, et cela a été le point de départ de la création de l’Observatoire des camps de réfugiés. 

“Et là où pour moi il y’a une quête de dignité, c’est que pour moi ce lieu-là, mes grands-parents y sont enterrés. Et ceux qui vont mourir les prochains y seront enterrés. Mes oncles, tout le monde va être enterré dans ce camp. Il n’y a que ceux qui arriveront à sortir qui n’y seront pas enterrés. Et je me dis que c’est le cas pour pleins d’autres gens dans pleins d’autres camps. Donc ça devient des lieux de vie. Il y a beaucoup de gens pour qui ces camps sont des lieux de vie. Et ils ne sont situés sur aucune carte. Alors qu’il y a des millions de personnes qui vivent dans des camps. C’est un réfugié sur trois qui vit dans les camps aujourd’hui, un déplacé interne sur deux.Donc moi je me disais, qui nous inscrit dans le monde?”

Crédit photo: Site internet Observatoire Des Camps De Réfugiés

À l’image de l’histoire personnelle et familiale de Rima, les camps de réfugiés deviennent des lieux de vie. Ce ne sont pas de simples lieux de passage, ou lieux d’accueil temporaire comme certains peuvent le penser. L’idée est de rendre hommage à ces lieux et à ces personnes, de les nommer, les documenter et de les ré-humaniser, “C’est quand même terrible de ce dire qu’il y a des gens qui sont en situation d’exil, qui vivent dans des espaces qu’on n’arrive pas à situer sur une carte, qu’on nomme même pas”. Poser ce regard sur les camps de réfugié​​·e·s permettra également à terme d’alerter sur les défaillances et les abus qui s’y trouvent, et éviter que ceux-ci continuent d’être ignorés par la communauté internationale. 

En parallèle, cette documentation a pour but de changer le discours majoritaire en France et en Europe concernant la migration, qui clame que toute personne quittant son pays a vocation à venir en Europe, à “envahir” le continent. C’est faux, et pour apporter un contre-discours, il s’agit  de restituer la question des camps dans le débat autour de la migration. En fournissant des chiffres et des données précises, on témoigne de la présence d’une très grande partie des personnes migrantes dans les camps. Et en plus, ces camps sont souvent dans des pays frontaliers aux pays quittés (à titre d’exemple, la majorité des camps de réfugiés palestiniens se trouvent en Jordanie, Syrie et Liban), et non en Europe.

Crédit photo: Joshua Hoehne

Nakba survivor ou le sentiment d’étouffement

Ce sentiment de solitude est exacerbé par le fait que la communauté palestinienne en France est très petite, contrairement à d’autres zones géographiques comme les pays anglo-saxons ou l’Amérique latine. Mais aussi par l’hypocrisie dans lequel on vit qui prône les droits de l’homme d’un côté, mais soutient la colonisation palestinienne et ne fait rien pour contrer une situation qui s’enlise depuis des années de l’autre. Pour essayer de faire comprendre à son entourage le sentiment d’étouffement qu’elle ressentait, Rima se couvre entièrement la tête avec son keffieh. Elle explique que cette couverture est symbolique de deux choses, d’un côté, comment son identité palestinienne oriente son regard vers elle-même et vers le monde. Puisque c’est une responsabilité, presque une obligation de porter cette identité, elle prend le dessus, et l’étouffe, l’isole.

“Tout le monde ici a le luxe de pouvoir mettre de côté la question palestinienne. Moi j’aimerais faire comme vous: j’aimerais me lever, parfois une semaine, deux semaines sans me dire qu’il y’a un effet boomerang et que ça va revenir. Je vous envie presque que soit pas un sujet pour vous. Et du coup, cette identité, par ce qu’elle me bouffe d’énergie, de préoccupations, d’angoisses, de sources d’inquiétude, etc fait que du coup j’ai plus de mal à voir le monde tel qu’il est. J’ai plus de mal à entendre le monde tel qu’il est, ou  à entendre les sons tels qu’ils sont, ou même à goûter les trucs, à savourer. Donc pour moi le keffieh couvrait tous ces sens et étouffait un peu”.

Rima Hassan

Dans le sens inverse, cette couverture est aussi symbolique de comment les autres, le monde regarde les Palestinien·ne·s, à savoir en les essentialisant. Sans que cela soit de mauvaise foi, beaucoup de choses sont projetées sur les Palestiniens, qu’on rattache d’emblée à leur cause, “Du coup on n’existe plus. Notre individualité est diluée dans ce que l’identité palestinienne incarne aujourd’hui”.

Avec la création de la page @nakbasurvivor, Rima a voulu pousser cette idée, en créant un personnage qui erre dans un monde où il essaye “d’embrasser une normalité, de situations de tous les jours du quotidien mais de fait il y a ce keffieh sur sa tête et on le voit à travers ça et lui il le porte malgré lui et cette identité l’étouffe malgré lui et elle l’empêche de faire tout un tas de trucs qu’il pourrait potentiellement faire si cette identité là ne lui était pas autant écrasée, autant confisquée”.

Quelle est ta musique du moment ?

Sawah – Abdel Halim Hafez

Traduction de Sawah : touriste, vagabond

“Vagabond, marchant entre les pays, vagabond
Et le pas entre moi et ma bien-aimée est grand
Un long voyage, qui me blesse
Et la nuit approche, et le jour s’en va

Et si vous voyez ma bien-aimée, dites-lui « Bonjour »
Rassurez-moi sur ce que fait ma « fille à la peau brune » si loin
Vagabond, je marche toute la nuit
Vagabond, ne sachant pas ce que je fais
Vagabond, et la séparation, ô ma chère
Vagabond, que m’est-il arrivé ?
Et les années, les années, et je me perds dans la solitude et la tendresse
Je veux juste savoir quelle est sa route

Mes yeux, ô mes yeux
Que vous est-il arrivé et que faites-vous ?
Mes soucis, oh mes soucis, laissez-moi seul
Je suis suffisamment inquiet à son sujet
Jamais je ne peux me reposer, et je suis perdu comme un vagabond

Oh lune, qui m’a oublié
Amène-moi à celle qui m’est absente
Éclaire-moi, montre-moi la route vers ma bien-aimée
Je vous ai fait promettre, à vous, témoins
De lui dire mon état
Et comment j’ai souffert pendant mes nuits”. 

Vous pouvez retrouvez le projet Nakba survivor sur Instagram et les actualités de l’OCR sur leur site officiel 

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