Que se passe t’il à l’est du Congo : Interview d’Amandine Piango, directrice de l’agence RITALINED
Crédit photo: Adeolu Eletu
I 02.08.25 I NELLY GARDIER
Le 2 novembre dernier, la Gaîté Lyrique, à Paris, a accueilli une conférence intitulée « Mais que se passe-t-il vraiment à l’Est du Congo ? », un événement visant à éclairer et sensibiliser sur les enjeux et la réalité de la situation actuelle dans cette région.
Nous avons eu l’opportunité de rencontrer Amandine Piango, directrice de l’agence de communication Ritalined et initiatrice de cet événement.
« Mais, que se passe-t-il vraiment à l’Est du Congo ? » est une question aussi urgente que trop peu posée. Face à l’invisibilisation persistante de la situation à l’Est du Congo dans les médias traditionnels, Amandine Piango, directrice de l’agence Ritalined a décidé d’organiser une conférence réunissant militants et experts afin de sensibiliser et de remettre le Congo au cœur des discussions. Dans cette interview, elle revient sur les raisons de son engagement et sur l’importance de briser le silence.
BISSAI : Comment suivez-vous au quotidien l’évolution du conflit à l’Est du Congo ?
Amandine Piango : Je suis l’actualité au Congo principalement grâce à mon oncle, qui m’envoie des notes vocales et des vidéos. Ces échanges me donnent un accès direct et privilégié au conflit, me permettant de voir et de comprendre ce qui se passe réellement sur le terrain. Malheureusement, les médias en parlent peu, et cette démarche personnelle m’aide à rester connectée à la réalité du conflit. Je m’informe également via les réseaux sociaux, notamment Instagram, où je suis des pages gérées par des associations congolaises, qu’elles soient locales ou internationales. TikTok peut également être une source d’information, bien que ce ne soit pas mon réseau préféré. Je sais toutefois que certains activistes sur place utilisent des trends TikTok, intégrant des vidéos de guerre pour les faire apparaître dans les flux et ainsi sensibiliser un public plus large, ces techniques contribuent à rendre visible ce qui se passe à l’Est du Congo.
Par ailleurs, je consulte les médias congolais traditionnels et indépendants. Néanmois, il est important de rester vigilant, car certains de ces médias sont affiliés à des partis politiques, ce qui peut potentiellement biaiser les informations diffusées. En ce qui concerne les médias internationaux traditionnels, ils évoquent rarement ce conflit. Quelques exceptions méritent toutefois d’être soulignées, comme Jeune Afrique, qui consacre une rubrique à la RDC, ainsi que RFI, France 24, ou TV5 Monde, qui abordent ce sujet de temps à autre. Cependant, au-delà de ces exemples, les grands journaux tels que Le Monde, Libération, Le Figaro, ou encore le New York Times publient très peu d’articles sur cette guerre.
BISSAI : Que pouvez-vous nous dire sur l’impact concret du conflit à l’Est du Congo sur la vie des populations locales ?
Amandine Piango : À propos de l’impact du conflit sur les populations, la recrudescence des attaques du M23, notamment la prise de la ville de Masisi, située à 80 km de Goma le 4 janvier 2025, ont plongé la région dans un état d’asphyxie et de tension constante. Sur le plan sanitaire, la situation est alarmante. La propagation significative du Mpox dans les camps de déplacés aggrave les conditions de vie déjà extrêmement précaires et renforce l’oppression exercée par l’ennemi. De plus, le déplacement massif de plus de 7 millions de personnes entraîne des répercussions désastreuses sur les familles, souvent déchirées et séparées. Ce chaos laisse de nombreux enfants abandonnés à leur sort, ajoutant une dimension tragique supplémentaire à cette crise humanitaire.
L’impact économique de la crise est tout aussi alarmant. Les prix des denrées alimentaires de base ont explosé : le sac de riz, par exemple, est passé de 24 $ à 30 $, celui des haricots de 80 $ à 130 $, et le régime de bananes plantains de 5 $ à 7 $ depuis le début du conflit. Cette flambée des prix rend l’accès à une alimentation adéquate de plus en plus difficile pour les populations locales. Par ailleurs, la fermeture des routes entrave gravement l’approvisionnement, exacerbant les pénuries et la précarité alimentaire.
Les défis liés à l’acheminement de l’aide humanitaire ne font qu’aggraver la situation, plongeant les habitants dans une précarité encore plus grande. Sur le plan éducatif, les déplacements massifs contraignent de nombreux enfants à abandonner l’école, privant ainsi des familles déjà vulnérables de la possibilité d’offrir un avenir à leurs jeunes. Cette situation ne fait qu’exacerber le désespoir de ces familles déjà fragilisées.
Le traumatisme psychologique est également colossal. Certains enfants ont été témoins d’atrocités telles que le meurtre de leurs parents, le viol de leur mère ou, pire encore, certains ont été contraints de perpétrer des actes violents eux-mêmes. La reconstruction psychologique de ces victimes sera un défi majeur à relever mais également une priorité absolue.
Parallèlement à cela, quand je discute avec mon oncle ou le directeur de l’association proche des orphelins à Goma, ce qui me frappe le plus, c’est leur résilience. Face à la guerre qui les entoure, ils affichent une force et une foi inébranlables, des qualités qui me laissent humble et admirative. Parfois, en échangeant avec eux, je ressens un certain décalage : le combat que je mène à distance semble dérisoire comparé à leur quotidien. La religion joue un rôle central dans leur capacité à tenir bon. C’est grâce à cette foi qu’ils trouvent la force de continuer, malgré la guerre environnante.
Ce qui m’émeut profondément, c’est leur aptitude à rester positifs et à chercher des solutions pour vivre et résister autrement. Goma, malgré tout, reste une ville vibrante, portée par des jeunes déterminés, courageux. On y voit éclore des initiatives inspirantes, comme le festival de musique féminin Musika na Kipaji ou le magazine pour femmes Muke Magazine, qui célèbrent la résilience et la créativité. Puis, il y a les générations plus âgées, gardiennes d’un attachement profond et inébranlable à leur terre. Les Gomatraciens, qu’ils soient entrepreneurs, militants ou porteurs de mémoire, partagent tous un même espoir : celui de voir leur ville libérée et restaurée.

Crédit photo: Thomas Couillard
Les réseaux sociaux jouent aujourd’hui un rôle crucial, en particulier concernant la guerre à l’Est de la RDC. Ils comblent le vide laissé par les médias traditionnels et constituent ma première arme de sensibilisation. Même si je ne peux pas mesurer immédiatement l’impact de cette sensibilisation, je sais que mon contenu est vu et qu’une graine est semée. Les réseaux sociaux sont un canal puissant pour faire passer le message et engager le public.
Amandine Piango, directrice de l’agence de communication Ritalined
BISSAI : Quel est, selon vous, le meilleur moyen de sensibiliser les personnes en France sur ce conflit, et comment tentez-vous de le faire dans vos cercles personnels et professionnels ?
Amandine Piango : Dans un premier temps, le récit personnel constitue un excellent moyen de sensibilisation. Par exemple, lorsque j’ai débuté mon activisme pour dénoncer le conflit à l’Est du Congo, j’ai partagé des échanges avec mon oncle. Ces publications ont suscité de nombreuses réactions au sein de ma communauté, favorisant une prise de conscience accrue. En transmettant des récits personnels, on amplifie l’impact de la sensibilisation en rendant les enjeux plus tangibles. Ce type de contenu a généré un intérêt notable et a permis de soulever des questions jusque-là peu abordées. Le récit personnel possède un pouvoir empathique extraordinaire, capable d’ancrer chacun dans le réel.
Par ailleurs, les réseaux sociaux jouent aujourd’hui un rôle crucial, en particulier concernant la guerre à l’Est de la RDC. Ils comblent le vide laissé par les médias traditionnels et constituent ma première arme de sensibilisation. Même si je ne peux pas mesurer immédiatement l’impact de cette sensibilisation, je sais que mon contenu est vu et qu’une graine est semée. Les réseaux sociaux sont un canal puissant pour faire passer le message et engager le public. En parallèle, les événements culturels et les conférences offrent des plateformes essentielles pour sensibiliser et informer de manière collective et interactive. Enfin, il est indispensable de porter ces problématiques dans les écoles et les universités. Sensibiliser les générations futures est une étape clé pour garantir une compréhension durable et un engagement continu.
Sur le plan professionnel, je travaille dans la mode, un domaine où il peut parfois être délicat d’intégrer des sujets aussi sensibles que la guerre. Nous l’avons constaté récemment avec la Palestine : aborder ces questions peut s’avérer complexe. Cependant, la mode demeure un puissant outil d’expression et de revendication. Des figures emblématiques comme Vivienne Westwood, connue pour son engagement écologique, ou la marque GmbH, qui a transmis un message de paix en soutien à la Palestine lors de leur défilé en janvier, illustrent comment la mode peut servir d’outil d’activisme. De manière similaire, en 2020, la créatrice congolaise Anifa Mvuemba a marqué les esprits avec sa collection Pink Label Congo, inspirée par l’exploitation des mines de coltan, un des minerais au cœur du conflit en République démocratique du Congo. Après un discours engagé sur cette problématique, elle a lancé un défilé numérique novateur, alliant engagement et créativité. Ces exemples illustrent qu’il est possible de marier mode et engagement . C’est dans cet esprit que j’essaie, à travers mon travail, d’aborder ces problématiques au sein de mes projets. Cette démarche m’a notamment permis d’organiser la conférence à la Gaîté Lyrique avec mon agence de communication, mêlant mon engagement personnel et des initiatives professionnelles.

Crédit photo: Fatima-Zahra Farahate
BISSAI : Pourquoi ce choix de donner une voix aux mères dans vos initiatives ? Quelles places occupent les mamans dans les luttes pour la protection de l’environnement, la passation du savoir, la sensibilisation au sein de la société congolaise ?
Amandine Piango : Le Congo est une nation dont les systèmes d’organisation sociale varient entre patrilinéarité et matrilinéarité selon les populations. La femme y occupe un rôle central et constitue l’un des piliers de la société congolaise. La femme congolaise, en particulier celle de l’Est, se distingue comme une véritable figure de résistance. On observe, par exemple, des femmes patriotes qui s’engagent aux côtés de l’armée congolaise pour défendre leur terre et combattre les oppresseurs, témoignant ainsi de leur force et de leur dévouement.
En tant que protectrices et mères, elles prennent souvent des risques inimaginables pour protéger leur famille. Dans les camps de réfugiés, de nombreuses mères choisissent d’aller chercher du bois pour cuisiner, malgré le danger de subir des viols, préférant cela au risque que leurs compagnons s’aventurent dans les bois, où ils pourraient être tués. Quand j’entends ce récit, je me dis que ces femmes sont vaillantes, elles sont véritablement des héroïnes du quotidien incarnant à la fois la résilience et la force.
En matière de transmission, ma mère illustre parfaitement ce processus. Je dis souvent qu’elle m’a transmis la culture congolaise de manière passive. La femme congolaise, et plus largement la femme en général, joue un rôle central dans la transmission intergénérationnelle, souvent de manière subtile et naturelle. Que ce soit par les pratiques agricoles, les savoirs culturels ou les valeurs communautaires, cet héritage se transmet presque instinctivement et de manière plus organique, particulièrement lorsque cela vient de la mère.
Les femmes congolaises jouent également un rôle de reconstruction, notamment grâce à leur capacité d’innovation. On le voit à travers les communautés solidaires qu’elles mettent en place, telles que les systèmes de micro crédit ou d’épargne collective appelés likelemba ou les tontines. Ces initiatives, fondées sur l’entraide, sont une preuve de leur ingéniosité et de leur force collective.
Enfin, ce sont elles qui luttent le plus activement contre l’impunité, portant leurs témoignages dans des structures de justice transitionnelle, même si celles-ci sont souvent symboliques et inefficaces. Elles incarnent également l’espoir. Dieu a bien fait les choses : la femme donne la vie. C’est par elle que naîtra une nouvelle génération de Congolais. Une génération capable de renverser les schémas actuels, de déconstruire les systèmes oppressifs et de faire la différence. C’est par la femme que viendra le changement, qu’une transformation profonde s’opérera, marquant ainsi un tournant décisif pour le Congo.
BISSAI : Quelle est la suite de vos projets pour renforcer la sensibilisation sur ce conflit ?
Amandine Piango : Personnellement, je souhaite continuer à explorer ce type de format. Organiser cette conférence m’a permis de répondre à un besoin : celui de créer un espace où les gens peuvent se retrouver, échanger, comprendre et s’informer. Parallèlement, je réfléchis à de nouvelles manières de sensibiliser, notamment en établissant des synergies avec des structures atypiques. Ces collaborations pourraient élargir nos modes d’action et offrir des cadres complémentaires aux marches et aux conférences.
La sensibilisation peut s’exprimer de mille façons. Je choisis de la pratiquer à ma manière, en dialoguant avec des amis, échangeant avec des journalistes, en partageant mes idées. Chacune de ces actions, qu’elle soit individuelle ou collective, contribue à un objectif commun : sensibiliser, informer, et construire un engagement durable pour cette cause qui me tient profondément à cœur.

Crédit photo: Aboodi Vesakaran
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