Congo, miroir de notre humanité

I 01.02.25 I Fatima-Zahra Farahate

Il y a encore très récemment, le conflit qui ravage l’Est du Congo depuis des années me semblait étranger, presque irréel. Je ne savais ni ce qui s’y passait réellement, ni pourquoi ce pays qui figure dans ma “bucket list” depuis toute petite va si mal. Ce flou autour des guerres africaines, si différent de la clarté narrative des conflits occidentaux ne me semble pas fortuit. Mon intuition, bien avant d’en apprendre plus sur ce conflit, me disait que cette opacité est soigneusement entretenue par les médias, permettant sans doute de masquer des réalités dérangeantes.

Anesthésier l’opinion publique, c’est faire accepter à la population de fermer les yeux sur des atrocités. Car comment peut-on s’indigner ou agir pour une cause qu’on ne comprend pas ? Ou pire, qu’on ne connaît même pas. J’ai assisté à la conférence “Mais que se passe-t-il réeellement au Congo ?” à la Gaieté Lyrique, animée par Amandine Piango, directrice de l’agence Ritalined et engagée dans la sensibilisation au conflit en RDC grâce à ses liens familiaux à Goma. En présence de David Kithoko, Carlos Martens Bilongo, Dr Amzat Boukari-Yabara et Thierry Michel, ce temps d’échange était l’occasion pour moi de faire le point.

Il y a encore très récemment, le conflit qui ravage l’Est du Congo depuis des années me semblait étranger, presque irréel. Je ne savais ni ce qui s’y passait réellement, ni pourquoi ce pays qui figure dans ma “bucket list” depuis toute petite va si mal. Ce flou autour des guerres africaines, si différent de la clarté narrative des conflits occidentaux ne me semble pas fortuit. Mon intuition, bien avant d’en apprendre plus sur ce conflit, me disait que cette opacité est soigneusement entretenue par les médias, permettant sans doute de masquer des réalités dérangeantes.

Anesthésier l’opinion publique, c’est faire accepter à la population de fermer les yeux sur des atrocités. Car comment peut-on s’indigner ou agir pour une cause qu’on ne comprend pas ? Ou pire, qu’on ne connaît même pas. J’ai assisté à la conférence “Mais que se passe-t-il réeellement au Congo ?” à la Gaieté Lyrique, animée par Amandine Piango, directrice de l’agence Ritalined et engagée dans la sensibilisation au conflit en RDC grâce à ses liens familiaux à Goma. En présence de David Kithoko, Carlos Martens Bilongo, Dr Amzat Boukari-Yabara et Thierry Michel, ce temps d’échange était l’occasion pour moi de faire le point.

Une histoire de pillage et d’exploitation

Crédit photo: Chiguecky Ndengila

Commençons par les bases : le conflit en République démocratique du Congo (RDC) est tout sauf un simple “désaccord local”. Combien de fois en tant qu’africaine, maghrébine, étrangère, ai-je entendue des réflexions sur les conflits au continent. “Mais il y a tout le temps des guerres ou des coups d’État chez vous, non ?”. Pas autant que depuis l’arrivée des colons, non…

En RDC, depuis trois décennies, les attaques du M23 et d’autres groupes armés plongent la région dans une violence inouïe. Cette guerre aurait fait 6 millions de morts depuis 1998. Le pays connaît un regain de violence depuis 2021: viols massifs, exode, famine… Les informations abondent mais pourtant la compréhension globale reste opaque.

Nous avons posé la question au Dr Amzat Boukari-Yabara. Il explique, « Les conflits en Afrique comme celui du Congo sont toujours sous-médiatisés et considérés comme des conflits secondaires, sans capacité de susciter l’empathie de l’opinion publique internationale ni de créer des débats de nature à polariser les discours. C’est très différent de la Palestine ou de l’Ukraine, des conflits qui ont fait moins de morts mais qui opposent véritablement des camps clairement identifiés avec en arrière-plan les grandes puissances qui suivent heure par heure ce qui se passe sur le terrain.

Ensuite, les intérêts européens ou américains dans la guerre au Congo sont masqués pour être mieux protégés. Ils sont également masqués par le fait que la guerre dans l’Est est réduite à un conflit entre le Congo et le Rwanda, sans jamais se poser la question du rôle des puissances occidentales et des multinationales. Cela renvoie au silence de la communauté internationale qui refuse de condamner ouvertement les responsables des massacres et de soutenir les demandes d’enquête pour qualifier les faits en génocide comme une grande partie de l’opinion publique le réclame. 

Enfin, la sous-médiatisation de la guerre au Congo participe de l’idée que le conflit serait trop complexe à traiter au fond, et qu’il faudrait donc l’évoquer en restant sur la forme. Les informations fournies par les médias internationaux réduisent les conflits africains à des enjeux locaux, sans jamais donner une vision globale ni faire le lien avec ce qui se passe dans le reste du monde. Les médias africains, pour leur part, ne disposent pas d’un impact suffisant pour porter la lumière sur ce qui se passe d’autant plus que le conflit au Congo ne produit pas beaucoup d’images, notamment de bombardements.”

Dr Boukari-Yabara a rappelé que l’Afrique centrale fut un épicentre de la traite négrière entre le 16ᵉ et le 19ᵉ siècle. « On trouve en Martinique et plus généralement aux Antilles de nombreuses influences culturelles et sociales venant des peuples d’Afrique centrale, notamment (du) Kongo », précise-t-il. “Quand l’Afrique est ensuite partagée en sphères d’influence coloniale lors de la conférence tenue à Berlin en 1885, c’est en réalité le partage du Congo qui sert de base majeure des échanges et des discussions entre les puissances européennes. La colonisation belge a institué des hiérarchies ethniques et sociales qui ont des conséquences sur l’essor du tribalisme et de la xénophobie. La configuration du territoire, le traçage des frontières, la violence de l’exploitation économique avec des millions de morts ont encore des conséquences traumatiques sur les peuples au Congo. La culture de l’impunité est ancienne. »La violence coloniale ne s’est jamais vraiment arrêtée. Comme l’explique l’historien, « L’histoire du Congo depuis son indépendance en 1960 est dans la continuité d’une forme de violence coloniale. » L’impérialisme colonial n’est pas simplement industriel et militaire en RDC, il est économique, médiatique et systémique. Les multinationales occidentales, directement ou indirectement, tirent profit de l’instabilité du pays. David Kithoko, activiste et défenseur des droits de l’homme, cofondateur et président de Génération Lumière, une association écologiste et de solidarité internationale qui agit en France et dans la région des Grands Lacs en Afrique de l’Est, a rappelé durant la conférence que quand on a des doutes sur la question “A qui profite cette guerre ?”, il faut simplement suivre l’adage anglais : “Follow the money”.

Les enjeux environnementaux : un autre champ de bataille

Crédit photo: Chiguecky Ndengila

L’une des exploitations les plus courantes et les plus “normalisées” est celle du sous-sol africain. Aujourd’hui encore, le sous-sol du RDC, riche en cobalt, coltan, cassitérite, étain, nickel, diamants, et autres minerais stratégiques, alimente la technologie mondiale au prix du sang et des larmes des Congolais. Ces minerais, indispensables aux batteries des smartphones ou des voitures électriques, sont extraits dans des conditions inhumaines, souvent sous le contrôle de milices armées qui poussent les villages à l’exode pour accéder aux mines. La guerre détruit aussi l’écosystème de la région, ce qui aggrave encore les conditions de vie des populations locales. Le lien entre écologie et paix est donc crucial. La destruction des forêts tropicales et l’exploitation illégale des ressources mettent en péril l’équilibre écologique non seulement du pays, mais mondial. Il faut garder en tête que le Congo est un pays riche par son histoire et son peuple, par ses mines oui, mais surtout par ses forêts. Jusqu’à présent, l’Amazonie était considérée comme le plus puissant puit de carbone, mais les forêts africaines l’ont détrônée il y’a quelques années : elles absorbent désormais plus d’émissions de CO2 (réf 1). En d’autres termes : permettre à un scandale écologique de continuer au Congo, c’est mettre en péril le poumon de la planète. Pourtant, cette dimension écologique est rarement mise en avant. c’est là que réside tout l’enjeu : comprendre que le sort du Congo est lié au nôtre. Une chose est claire : si les médias ou les politiciens s’intéressent au Congo, c’est d’abord pour ce qu’il cache dans ses entrailles. Toutefois, le conflit au Congo ne se limite pas aux minerais. Comme disait Mr Kithoko pendant la conférence “en regardant uniquement que ce qui se passe au dessous du sol congolais, on oublie qu’il y a des humains au-dessus de ce même sol”.

Le potentiel d’un Congo souverain

Si le Congo venait à se relever, les conséquences seraient immenses, non seulement pour l’Afrique mais pour l’équilibre mondial. Un Congo stable et souverain pourrait d’une part redistribuer ses ressources de manière équitable mais aussi libérer l’Afrique de sa dépendance occidentale. « Le Congo, par sa richesse et sa position stratégique, est la clé de l’indépendance économique et politique du continent africain », explique le Dr Boukari-Yabara. Mais les obstacles sont nombreux. Outre les ingérences étrangères, la mauvaise gestion, la corruption et la pauvreté exacerbent les divisions internes. Les héritages de l’administration coloniale belge continuent, eux aussi, d’empoisonner les relations entre communautés…

Un appel à la jeunesse africaine et diasporique

Le modèle occidental colonialiste est, dans son essence, un système basé sur l’exploitation. Ce système ne connaît pas l’harmonie avec la nature et le vivant, il ne connaît que des ressources à piller, des richesses à voler, des biens à utiliser, des territoires à diviser, des hommes à asservir. Les Amérindiens ont appelé “wetiko” ce virus qui opère secrètement à travers les angles morts inconscients de la psyché humaine, rendant les gens inconscients de leur folie, et les poussant à agir contre leur propre intérêt. Une psychose, une maladie de l’esprit, une envie de cannibaliser la vie, d’agir en tant qu’être séparé de la nature, de la communauté. Ce “Wetiko”, l’homme Africain ne le connaissait pas par le passé, mais il a également été infecté.

Aujourd’hui, le seul espoir est l’union, car voir le monde à travers une lentille de séparation anime ce que Carl Jung appelait “le Dieu de la terreur qui habite dans l’âme humaine” (3). Le philosophe Frantz Fanon disait aussi : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir. » (4) Face à cette réalité complexe, une question reste sans réponse… que pouvons-nous faire concernant le conflit en RDC ?

En tant que marocaine vivant en France, je me rends compte que cette mission commence par une prise de conscience. Le Congo n’est pas un sujet lointain ou étranger. Il est le miroir de notre humanité, un test de notre capacité à défendre la justice et la dignité humaine. Le conflit au Congo révèle les failles d’un système mondial fondé sur l’exploitation des plus faibles et la manipulation de l’empathie collective. Il nous interpelle sur notre rapport à l’histoire, à l’écologie, à l’éthique. On peut se réjouir du fait que la jeunesse issue de l’immigration en France, qu’elle soit africaine ou non, se mobilise de plus en plus pour des causes sociales et politiques. Le panafricanisme offre un cadre pour comprendre les liens entre les luttes locales et globales, entre histoire et présent.

Le Dr Amzat Boukara précise que “Pour les jeunes générations, l’enjeu est d’abord de connaître leur histoire qui a souvent été effacée par le récit colonial français. Dans le paradigme colonial, l’histoire de l’Afrique ne commence qu’avec l’arrivée des Européens après la conférence de Berlin en 1885. Il est donc important de former aussi une nouvelle génération d’historiens, notamment africains, sur un sujet comme celui du Congo pour ne plus dépendre uniquement du récit produit par les médias occidentaux.”Il continue, “Patrice Lumumba explique dans sa dernière lettre avant d’être assassiné qu’un jour, l’histoire de l’Afrique ne s’écrira plus depuis les capitales occidentales mais depuis l’Afrique même. Comprendre l’histoire, c’est comprendre que la vérité est toujours une victime de la guerre. Connaître l’histoire permet de mieux se mobiliser et de mieux expliquer la guerre du Congo.”

En assistant à cet événement à la Gaîté Lyrique, je me suis rappelée d’une chose essentielle : ce que nous ignorons, nous acceptons. Et ce que nous acceptons finit par nous définir. Le Congo, en dépit de son passé tragique et de son présent douloureux, reste porteur d’un espoir immense, de la libération de l’humanité, de la guérison face au wetiko du coeur et de l’âme…

À nous de ne pas détourner le regard !

Réf 1 : Article Les forêts africaines absorbent davantage de carbone que l’Amazonie, Laurence Caramel, publié le 09 mars 2020 sur Le Monde Afrique 

Réf 2 : Wetiko : Healing the Mind-Virus That Plagues Our World. Levy, Paul; Dossey, Larry, M.D.

Réf 3 : “Instead of being at the mercy of wild beasts, earthquakes, landslides, and inundations, modern man is battered by the elemental forces of his own psyche. This is the World Power that vastly exceeds all other powers on earth. The Age of Enlightenment, which stripped nature and human institutions of gods, overlooked the God of Terror who dwells in the human soul.” Collected Works of C.G. Jung: The development of personality (ed. 1953)

Réf 4 : Les Damnés de la terre; Franz Fanon. Éditions Maspero, IIIe édition : 2002

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