Le théâtre – avec ou sans nous ?
focus sur le pat studio et le bourgeois gentilhomme en version urbaine

I 26.06.25 I Aya Abouelleil

Le cinéma s’ouvre petit à petit, plus de représentation, de diversité, souvent maladroite, parfois non…quid du théâtre ? Milieu encore plus cloisonné avec des codes pu inclusifs, le pari n’est pas gagné. Pourtant, des initiatives existent et nous tenons toujours à les mettre en valeur.

Anissa Allali est une comédienne, réalisatrice, directrice de casting et bien plus encore. Elle est également fondatrice du PAT studio, à l’initiative de la reprise du Le Bourgeois gentilhomme de Molière en version urbaine. Après une première plus que réussie à l’Apollo théâtre en juin 2024, la pièce est en tournée depuis mars 2025 pour une dizaine de dates, toutes complètes. Coulisses, contextes et intentions, les voici :

Qui est Anissa Allali ?

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Anissa Allali débute en tant qu’actrice, tombée dans le milieu du cinéma par hasard après un projet entre potes. Mais sur les tournages ce sont les caméras qui attirent son œil, la réalisation l’intéresse : diriger et non simplement interpréter des rôles. Elle intègre ensuite l’association Hors Cadre et commence par réaliser des clips de rap avant de participer l’année suivante au Festival de courts-métrages Génération Court. Sa réalisation sélectionnée, elle intègre par la suite l’école de réalisation EICAR. Pendant sa formation, elle se rend compte que ce n’est pas tant la technique qui l’intéresse mais le lien créé avec les acteur·rice·s et leur mise en scène. Son travail en tant que directrice de casting débute.

Mon rapport était vraiment basé sur le comédien et le fait de pouvoir l’aider à interpréter et à incarner

En parallèle, Anissa crée donc le PAT studio, décision évidente et suivant le cours naturel des choses puisqu’elle s’était mise à coacher des ami·e·s en privé, à travailler en association…avoir sa propre structure pour aider les jeunes à développer ce métier s’imposait.

Qu’est-ce que le PAT studio ?

Le PAT studio existe depuis 5-6 ans maintenant, avec pour objectif d’aider de jeunes acteurs et actrices, pour la majorité racisés. Ayant fait des formations plus classiques, Anissa se sentait souvent seule issue de banlieues ou d’origine maghrébine et désirait donc créer un studio qui lui ressemble, qui ressemble à la France qu’elle voyait tous les jours dans le RER. Elle a eu parfois l’impression de servir un “quota diversité”, de recevoir des textes qui étaient clichés ou qui dépassaient ses limites. C’est aussi ce qu’elle veut apprendre à ses élèves, de ne pas tout accepter et de savoir situer ce qui nous nuit ou non.

Durant cette formation de coaching de deux ans minimum, le but est d’accompagner les jeunes apprenti·e·s – de l’acting jusqu’à l’insertion dans l’industrie, notamment via la rencontre de réalisateurs et de directeurs de casting. Le cours de théâtre a été créé comme une simple option, un bonus pour aller plus loin et approfondir certaines compétences et en réponse à des besoins spécifiques des élèves de l’année en cours. Pour Anissa il est important que les élèves connaissent la rigueur du théâtre qui reste différente de celle du cinéma. Le pari de cette nouvelle option théâtre a été de monter une pièce avec une quinzaine d’acteurs, le choix a été fait : ce sera une reprise de Le Bourgeois Gentilhomme de Molière

Pourquoi Le Bourgeois Gentilhomme ?

Bien qu’ayant des acteurs d’origine algérienne, tunisienne ou encore congolaise, toustes – comme Anissa – sont nés et ont étudié en France, dans l’école de la République. Et qui parmi nous ne se souvient pas d’au moins un texte de Molière appris à l’école alors qu’on était dans l’impossibilité de citer un dramaturge de notre pays d’origine.

Je me suis dis, quand tu commences le théâtre, souvent au collège, on te donne un texte de Molière. On a tous fait Molière

Avec une intrigue et une problématique qui peuvent sembler logiques pour une reprise moderne et urbaine, le but n’est pas non plus de tomber dans des clichés ou des caricatures dont on a malheureusement souvent l’habitude dans les médias. Anissa à la direction artistique ainsi que Francis Bolela à la mise en scène ont vécu ce racisme caché dans leurs parcours personnels donc y ont été particulièrement attentifs. Les jeunes acteurs sont eux-mêmes impliqués dans ce processus de réflexion car certes c’est de l’art mais il y’a tout de même un message à faire passer et le public à qui on s’adresse est un choix qu’on fait. En l’occurrence le souhait premier était que le jeune public ait l’impression de se reconnaître ou d’y voir un pote, pas comme ceux qui n’ont jamais pris le RER et qui créent des fantasmes tout autour.

Moi, ce que j’ai envie de faire c’est un bourgeois, mais qui sorte du théâtre classique. Je veux que le public se rende compte en nous regardant qu’on a nous aussi nos codes : à travers notre style vestimentaire, à travers notre musique, à travers notre langue, même si on garde la langue de Molière. On a nous aussi, jeunes de banlieue, une manière de s’exprimer qui n’est pas la manière de s’exprimer peut-être à Nantes ou à Paris, etc. Donc, j’ai envie de garder cette musicalité-là.

Où en est le théâtre ?

La plupart des gens ont l’habitude d’aller au cinéma, avec des potes ou pour un date, c’est plus normalisé, plus mainstream. C’est beaucoup moins dans nos codes d’aller au théâtre, pour plusieurs raisons dont celle de la représentation, de l’élitisme sociétal et de l’inaccessibilité financière mais également parce que les codes ne sont pas les plus évidents…qu’on soit honnête, on s’y ennuie parfois. 

Un des buts d’Anissa était de rendre plus mainstream cette discipline pour que les gens se sentent représentés et que la pièce soit vue par un maximum de jeunes. Mais en deuxième lieu atteindre un public plus large, plus habitué du théâtre – pour le choquer. Ce milieu s’est tout de même ouvert davantage aujourd’hui, à la Comédie française on peut trouver des acteurs noirs ou d’origine maghrébine. Plus globalement et heureusement aujourd’hui nous avons la chance d’avoir des réalisateurs et réalisatrices qui sont issus des quartiers comme Mehdi Idir, Alice Diop, Maïmouna Doucouré ou encore Rebecca Chaillou

Le Bourgeois Gentlihomme en version urbaine est un pari plus que réussi puisque la première date à l’Apollo a fait grand succès, pour des acteurs qui n’ont jamais joué sur scène et qui se retrouvent en face de 300 personnes avec un public réceptif qui a pu passer du rire aux larmes (ou presque) et qui a permis de propulser toute une tournée derrière. 

 

La clôture de la tournée aura lieu ce jeudi 26 juin 2025 soir à la Scène Parisienne. 

 

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