La non-transmission de la langue d’origine des étrangers en France, un processus institutionnalisé

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I 28.09.22 I CHIGUECKY NDENGILA

La non-transmission de la langue d’origine des étrangers en France est un sujet autant culturel que politique. Comme le soulignent les différents témoignages de notre épisode Ma langue d’origine est légitime, des injonctions politiques et sociales ont entravé la transmission de la langue d’origine des étrangers à leurs enfants nés et/ou élevés en France.  

L’institutionnalisation de la non-transmission de la langue d’origine des étrangers : le rôle de l’école

En 1979, Jim Cummins (professeur des universités spécialisé dans le développement du langage) propose une hypothèse de seuil minimal de compétence linguistique. Selon cette hypothèse, un premier seuil doit être atteint pour éviter le handicap cognitif qu’entraînerait l’apprentissage d’une seconde langue. Un deuxième seuil devrai être atteint pour que le bilinguisme ait un effet positif sur le plan cognitif. Cette hypothèse a participé à la généralisation de l’idée qu’il fallait maîtriser une langue avant d’en apprendre une autre. À l’école, ça s’est traduit par l’injonction faite aux parents étrangers de ne plus parler leur langue d’origine aux enfants pour qu’ils maîtrisent la langue française. 



Crédit photo: Jerry Wang

L’institutionnalisation de la non-transmission de la langue d’origine des étrangers : le rôle de la classe politique

La classe politique, notamment pendant l’ère Sarkozy, a aussi pointé du doigt la langue maternelle des étrangers. On retrouve notamment l’évocation d’un lien entre la maîtrise de la langue française et la délinquance dans le rapport Benisti sur la prévention de la délinquance des mineurs et des jeunes majeurs (2005). Quelques extraits tirés de ce rapport : 

« Le bilinguisme est un avantage pour un enfant, sauf lorsqu’il a certaines difficultés d’apprentissage car cela devient alors une complication supplémentaire. »

 «[…] il ne faut pas que le fait d’avoir des parents d’origine étrangère susceptibles d’utiliser la langue du pays à la maison puisse constituer dans la chaîne des causes, l’un des premiers facteurs potentiellement générateur de déviance. »

« On s’alarme devant les échecs de certains jeunes au collège ; on se retourne vers les parents ; on crée des dispositifs spéciaux ; on invoque le manque d’autorité alors que les inégalités et les décrochages qui sont à l’origine de tout cela se sont mis en place bien plus tôt, au cours préparatoire et même parfois dès la maternelle, en particulier dans le rapport à l’écriture ou la maîtrise de la langue française. »

« Or, même s’il paraît acquis que l’enseignement combiné de la langue maternelle et de la langue dominante permet aux enfants d’obtenir de meilleurs résultats à l’école et stimule dans bien des cas leur développement cognitif et leur capacité d’étude, il nous paraît tout aussi important de rappeler que ce constat ne doit pas masquer pour autant les difficultés rencontrées par nos enseignants lorsque les primo arrivants n’ont pas appris le français dès leur arrivée sur le territoire. C’est pourquoi, la commission recommande sur ce point comme cela est aujourd’hui possible de développer par tous moyens, l’adhésion au CAI (Contrat d’accueil et d’intégration) »

Le contrat d’intégration républicaine

La maîtrise de la langue est ainsi un élément clé du contrat d’intégration républicaine (anciennement Contrat d’accueil et d’intégration). Ce contrat est conclu « entre l’État français et tout étranger non européen admis au séjour en France souhaitant s’y installer durablement ». Dans le cadre de la conclusion de ce contrat, une formation civique est obligatoire. L’objectif est de s’« approprier les valeurs de la République et les règles de vie de la société française. »



Quand la non-transmission de la langue s’invite dans les foyers

Crédit photo: Dragon Pan

Ce triptyque maîtrise de langue française – meilleure intégration – réussite dans la vie a été intégré dans beaucoup de foyers de familles immigrées qui pensaient bien faire en limitant les échanges avec leurs enfants dans leur langue maternelle. La langue d’origine était limitée à des moments peu glorieux pour elle, comme les coups de pression qu’on redoutait toutes et tous enfants. 

Pour les familles issues de pays colonisés où le français était répandu, parler français était aussi depuis le pays signe d’une forme d’élitisme. Celui ou celle qui parlait le français était un·e « évolué·e ». Cette image a aussi contribué à renforcer l’usage du français au sein du foyer. 



La non-transmission de la langue et ses conséquences, de l’attrition au rejet de sa culture

Par conséquent, de nombreuses personnes ne maîtrisent pas leur langue maternelle, même quand, parfois elles avaient acquis des notions de cette langue très jeune. On parle alors d’attrition, soit la « réduction ou le tassement des connaissances linguistiques initialement acquises ». Ce phénomène est d’autant plus important que l’exposition à la langue maternelle a été arrêtée tôt. Pour limiter le risque de la disparition ou la réduction de la maîtrise de sa langue d’origine, beaucoup se joue donc au moment de la petite enfance et au début de la scolarisation. 

Au-delà de la non maîtrise de la langue, cette non-transmission a aussi des effets sur la perception qu’ont les enfants, puis adultes de leur culture d’origine. Grandir en ayant en tête que sa langue d’origine vaut moins que la langue dominante mène assez vite à croire que sa culture d’origine vaut moins que la culture dominante. 

Crédit photo: Leighann Blackwood

Pourtant, quand il est question du bilinguisme,  il est communément admis qu’il a des effets positifs sur le plan cognitif, comme une meilleure flexibilité cognitive grâce à l’habitude de passer d’une langue à une autre ou encore plus de facilité dans les tâches de catégorisation et d’analyse d’informations et leur mise en lien. Plus l’exposition à une langue est précoce, plus la plasticité du cerveau favorise l’apprentissage. La langue est plus facile à acquérir, notamment à un très jeune âge où l’enfant n’est pas inhibé par la peur de se tromper ou la honte de mal prononcer un mot. 

Il est donc temps de dépasser ces idées fausses et repenser les systèmes qui favorisent la hiérarchisation des langues sous couvert d’une meilleure intégration de personnes privées d’une partie de leur identité.