ENTRE VOUS ET MOI 

La dépression, un truc de babtou fragile ?

Crédit photo: Renée Thomspon

I 21.05.23 I Chiguecky 

Au printemps 2015, j’ai été hospitalisée en urgence psychiatrique. Ce n’était pas la première fois que je ressentais un mal si profond que je voyais tout en nuance de gris. C’était la première fois, en revanche, qu’un mot était posé sur ce mal-être. Plus qu’un mot, un diagnostic. J’étais dépressive. Moi qui pensais juste être folle. Étrangement bizarre. En apparence, j’ai toujours fonctionné correctement. Pas de frasques à la Britney ou Kanye. Pourtant au plus profond de mon être, j’étais en lutte permanente contre le monde et surtout contre moi-même.

Il n’est pas facile de comprendre, admettre et nommer la dépression, tant les symptômes varient d’une personne à une autre. La tâche est encore plus dure quand on vit dans une société qui reconnaît l’importance de prendre soin de son corps, mais beaucoup moins de son esprit. Et le niveau de complexité s’intensifie quand on est un enfant d’immigré·es, le fruit d’un sacrifice qui a consisté à fuir la guerre, la dictature, la précarité ou faire le deuil de la poursuite d’un rêve occidental déchu. Nos parents ont tout laissé derrière eux pour tout recommencer dans un pays qui ne veut pas d’eux si ce n’est pour les exploiter et les assimiler. Ils ont ensuite réussi à bâtir une vie digne malgré la difficulté d’obtenir des papiers, le racisme systémique, la responsabilité de prendre soin de celles et ceux restés au pays. Malgré les difficultés financières, les maladies, les deuils. Malgré une maîtrise plus ou moins approximative du français. Ils ont réussi à nous offrir un accès à l’éducation, un toit, de la nourriture, une stabilité financière pour les plus chanceux·euses, de l’amour même soyons fous. 

« Il n’y a pas de collier d’immunité face à la dépression qui aurait été distribué à toutes les personnes non blanches de la planète. »

Sur le papier, j’ai bien plus que ce qu’ils auraient pu imaginé. Plus qu’ils n’auront jamais. Pourtant, je vais mal. Une série de questionnements stériles m’inonde. Comment puis-je aller si mal, moi qui n’ai ni vécu la dictature de Mobutu ni la guerre civile au Congo ? Suis-je un enfant pourri-gâté ? Est-ce un caprice de privilégié qui a le temps de se poser des questions existentielles ? À cette culpabilité s’ajoute le manque de soutien d’un entourage familial qui considère que la dépression est “un truc de Blanc”. Et combien même elle serait bel et bien réelle, seule la prière pourrait l’éradiquer. Comment alors faire entendre ce malheur si profond que même les plus sincères prières n’arrivent pas à éteindre ?

Crédit illustration : (Lively Scout / For The Times

8 années se sont écoulées depuis mon premier gros épisode dépressif. En tout cas, depuis le premier nommé comme tel. Je pense que ce passager noir a toujours été là, mais qu’il n’avait juste pas la place pour s’exprimer. Dès qu’il a pu, il l’a fait et ne s’est jamais complètement tu depuis. La dépression n’est pas un truc de babtou fragile. Il n’y a pas de collier d’immunité face à la dépression qui aurait été distribué à toutes les personnes non blanches de la planète. Ou alors, je n’ai pas eu le mémo. Je pense que la dépression prend des formes et des noms différents selon l’environnement dans lequel on lui accorde ou non un espace pour se révéler.

Plus j’en apprends sur l’histoire de ma famille et le contexte socioculturel dans lequel elle a grandi, plus je comprends pourquoi elle ne me comprend pas. Je réalise à quel point ce tabou sur la santé mentale nourrit des traumatismes qui se passent de générations en générations depuis des années. Je suis frappée par les différentes expressions du malheur profond ressenti par certains membres de ma famille, malheur délicatement enfoui sous le masque social et balayé d’un revers de main à coup de prières et de louanges au bon Dieu. 

Suite à mes différents épisodes dépressifs, je comprends que je n’ai peut-être (sûrement ?) pas le pouvoir de briser le tabou autour de la santé mentale dans ma famille. En revanche, j’ai la possibilité de briser le cycle de trauma qu’il entretient par la voie de ma propre guérison. C’est peut-être à cet endroit que ma souffrance prend tout son sens si tant est qu’elle doit en avoir un. 

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