CHRONIQUE D’ÉTÉ

FEUILLETON MAROCAIN

C’est l’histoire

Feuilleton marocain : c'est l'histoire

Crédit photo : Zahra Allouche-Binet

I 25.08.23 I Zahra Allouche-Binet

C'est l'histoire - Feuilleton marocain n°9

par زهرة

L’autre jour, j’entendais raconter l’une des plus belles histoires d’amour jamais connue. C’est l’histoire d’un mariage entre cousins.

Pour nos esprits formatés à la famille nucléaire occidentale à but reproducteur du système patriarco-capitaliste*, un mariage entre cousin et arrive une flopée d’images subliminales entre Christine Boutin, la consanguinité du Pas-de-Calais et des enfants trisomiques. Pourtant ni le code civil français, ni les règles sociales et interdits universels comme la prohibition de l’inceste** ne touche le mariage aux cousins germains (ni même l’Islam).

Alors je l’écoute et l’histoire commence à leur naissance et déjà je me dis qu’aucune histoire ne pourrait durer aussi longtemps. Lui la connaissait avant même qu’elle ne naisse et était destiné à marier la sœur aînée de sa bien-aimée. Ils se sont rencontrés la première fois à ses 11 mois. Puis quelques années plus tard, par le plus grand des hasards, se sont fait photographier côte-côte assis sur la fontaine en zellige*** d’un patio lors d’un mariage. Lui portait un costume gris avec sa cravate du haut de ses 10 ans. Elle, une longue robe blanche pour enfant. Leurs mines gênées sur la pellicule les suivra toute leur enfance quand ils se croiseront. 

Aujourd’hui, il ne reste qu’une poignée de leurs interactions tant ils étaient timides de se rencontrer pendant les grands rassemblements familiaux. 

– Une fois, elle l’entendit pleurer dans les escaliers qui mènent à la terrasse et partit le consoler du haut de ses 6 ans.

– Une autre fois, dans cette même maison à la montagne, elle n’arrivait pas à dormir sous la chaleur étouffante de l’été. Elle descendit le retrouver dans les murs frais de son rez-de-chaussée. À l’appel du muezzin pour la prière du FAJR****, la mère de l’un des deux les sermonna de peur que le père de l’autre ne les surprenne au petit matin en pleine conversation.

– Une dizaine d’années plus tard, alors que tous les deux avaient grandi, elle le découvrit pour la première fois fumer. La timide prit le paquet de cigarettes et alla au-dessus d’une poubelle où elle les cassa une par une, en deux, s’assurant bien qu’aucune d’entre-elles ne reste fumable. Elle partit dans la salle de bain d’où elle revint les yeux tout rouges. 

Jusqu’àlors toute la famille rigolait d’une union entre les deux petits, mais pour eux deux, la timidité avait laissé place à la complicité. La méfiance grandit dans la famille. Une dizaine d’années repassa, chacun vivait, expérimentait et se confiait l’un à l’autre. Jusqu’au jour où rien ne changea, ils se marièrent et n’eurent aucun enfant (parce que ni l’un ni l’autre n’en voulait).

« And I think that’s beautiful ». 

Merci le Maroc pour tes mythes.

Endroit non-identifié, le 3 mars 2023

زهرة

*Voir Paul B. Preciado, Un appartement sur Uranus – chronique d’une traverser (2019) 

** Voir Claude Lévi-Strauss – la prohibition de l’inceste 

***Mosaïque traditionnelle marocaine.

****Première prière de la journée, à l’aube.

Française et Marocaine, Zahra Allouche-Binet est chercheuse, diplômée de la Haute École des Arts du Rhin et de l’Institut d’Ethnologie, à Strasbourg. Début 2020, elle commence une enquête au Maroc sur les espaces liminaux – des objets entre « art » et « artisanat » aux conditions diasporiques des descendants d’immigré.e.s. En parallèle, elle est critique culturelle et écrivaine pour Bissai Media et Dune Magazine. Pour encore plus de contenu de Zahra, rdv sur son site internet allouchebinet. com

Zahra Allouche-Binet