Về de Mai : Se raconter pour réparer nos lignées

Crédit photo : Mai

I19.12.22 I THU-AN DUONG

Un départ sans retour. C’est ce que les grands-parents de Mai ont vécu quand ils ont quitté leur pays d’origine, le Vietnam, pour s’installer en France. Ce que le départ laisse comme blessures chez nos parents et grands-parents vit en nous, enfants d’immigré·es, comme des silences et des manquements qu’on cherche à combler. Deux générations plus tard, Mai brise ce silence avec son livre illustré “Về”, en se livrant sur son histoire familiale et la découverte de ses racines.

Le retour qui déclenche “Về”

Về de Mai

Crédit photo : Mai

“Về” signifie rentrer en vietnamien et c’est bien un retour au pays qui déclenche toute la création et la réflexion derrière son projet graphique. Mai rentre pour la deuxième fois au Vietnam en 2022 avec pour but de dessiner et découvrir. Graphiste de profession, elle ressent le besoin de s’inspirer et de débloquer la panne créative qu’elle traverse depuis quelques années déjà. “Là-bas, je me suis débloquée, parfois je dessinais pendant 6 heures d’affilée. Tout s’est fait super naturellement, comme si toute cette création sortait directement de mon âme, à l’état brut”.

L’aisance et l’inspiration qu’elle ressent, elle ne l’a pas toujours ressenti. Elle entreprend un premier retour en 2019 qui la marque et la questionne, mais qui la fait douter aussi de sa place et de sa légitimité “la première fois que j’y suis allée, j’étais pas encore alignée. Quand j’y suis retournée en 2022, j’avais réussi à avancer dans cette introspection, et je me suis sentie enfin à ma place. Je récupère les bouts d’histoire et d’espace qui, finalement, m’appartiennent aussi”.

Les signes qui nous guident

À travers ces illustrations détaillées des rues de Hanoi, des plats traditionnels, des moments de découverte, mais aussi des portraits de famille, Mai fige ses réflexions et son histoire dans le temps, et laisse une trace pour les siens, et plus largement pour toute personne qui saura se reconnaître dans cette quête identitaire. 

Dans ces portraits, on y voit son arrière-arrière-grand-mère, ses grands-parents, son oncle et ses tantes plus jeunes. Les détails se jouent sur les vêtements, les coiffures, l’environnement dans lequel les photos sont prises, les objets qu’on voit en arrière plan, qui nous permettent de situer dans le temps et dans l’espace chaque instant. Mais les visages, quant à eux, sont dessinés sans traits, sans détails. “J’ai eu peur de réveiller les fantômes de mes ancêtres, donc par pudeur et respect, je n’ai pas dessiné leurs visages.”

Về

Crédit photo : Mai

En effet, la spiritualité et la superstition joue un rôle essentiel dans la culture vietnamienne et Mai nous parle de la connexion qu’elle ressent avec sa lignée, notamment depuis la décès de sa grand-mère maternelle, qui a été une blessure profonde pour elle et sa famille “Je suis très reliée aux membres de ma famille qui nous ont quittés. Les signes, c’est eux qui me les envoient. Dans cette quête, dans ce voyage, dans cette création, je n’ai jamais été seule. Je les laisse me guider. Je me sens comme un réceptacle de ce projet, j’ai senti que mes ancêtres parlaient avec moi, à travers moi, comme s’ils essayaient aussi de sortir de ce silence en laissant leur trace, aussi.”

Réparer nos lignées familiales

“Ce voyage au Vietnam, je le sens, c’est celui qui répare ma lignée”. 

On dit souvent qu’il suffit de réparer une personne pour réparer nos ancêtres et notre lignée. Faire la paix avec son histoire familiale a permis à Mai et à sa famille d’impulser et de dénouer certaines choses “Ma grande tante a repris l’apprentissage du vietnamien, et ça l’a motivé pour reprendre le recueil de l’histoire de notre famille. Mon oncle et mes tantes ont été très touchés aussi, et mes parents sont très fiers de moi. C’est très émouvant de voir l’impact que ça a pu avoir sur mon entourage”

Les histoires d’immigration de nos familles sont très souvent fragilisées par la transmission orale. Au cœur de Bissai se trouve la question de l’héritage et des archives de cette transmission : que restera-t-il de nos histoires quand ceux qui les détiennent ne seront plus là ? Comment conserver ces récits avant qu’il ne soit trop tard ? Mai répond à cette question : en se les ré-appropriant et en les racontant nous même. 

De ces silences qu’on brise et de ces blessures qu’on soigne, naissent nos plus belles créations. “Về” en est la preuve. 

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