Intégrer les différences culturelles à la thérapie avec l’ethnopsychiatrie

I 03.04.21 I CHIGUECKY NDENGILA

L’accompagnement psychiatrique est souvent tabou, jugé inefficace voire inutile au sein des communautés racisées. Avec l’accroissement des flux migratoires, des cultures et des visions du monde multiples se rencontrent dans bien des domaines, la psychiatrie y compris. Mais vit-on les troubles mentaux de la même manière selon notre groupe d’appartenance socio-culturel ? Est-ce qu’il est nécessaire d’intégrer la culture et les traditions locales aux approches psychiatriques ? Spoiler alerte, selon les défenseurs de l’ethnopsychiatrie, c’est fondamental et voici pourquoi.

Intégrer une lecture culturelle et éthnique à l’approche psychiatrique

L’ethnopsychiatrie, connu aussi sous le nom de  psychiatrie transculturelle, correspond au “domaine de la psychiatrie, consacré à l’étude des troubles mentaux en fonction des groupes culturels et ethniques auxquels appartiennent les individus qui en seraient atteints”. Derrière l’ethnopsychiatrie, il y a l’idée que les réalités psychiques vont être différentes selon la culture, les traditions, ou encore le système de croyance qui régissent l’environnement socio-ethnique dans lequel l’individu évolue. Plus la situation est complexe avec des causes multifactorielles, plus l’ethnopsychiatrie sera proposée en réponse à l’aide nécessaire. 

La psychiatrie était déjà appréhendée sous le prisme de la différence culturelle dans la médecine coloniale. On parlait à l’époque de “psychiatrie exotique” ou encore de « psychiatrie comparée”. Si Georges Devereux est considéré comme le père fondateur de l’ethnopsychiatrie en France, le psychopédagogue haïtien Louis Mars avait déjà utilisé le terme dans un texte apparu dans le “Bulletin de l’association médicale haïtienne.”

Intégrer le facteur ethnique à la psychiatrie est d’autant plus intéressant qu’il permet une analyse plus fine de certains comportements et réactions face à des situations complexes susceptibles de causer des troubles psychiatriques. Elle donne aussi une autre grille de lecture pour mieux comprendre les différences.

Une alternative à la vision occidentalo-centrée de la thérapie

L’ethnopsychiatrie implique d’admettre que les peuples réagissent de manière différente face à certaines situations négatives du fait d’un conditionnement socio-culturel. 

La démarche de l’ethnopsychiatrie est une démarche de déconstruction. Elle propose de déconstruire les propositions thérapeutiques classiques et de comprendre les souffrances individuelles en les contextualisant dans un environnement culturel et historique collectif.

La psychiatrie occidentale ne serait donc pas la norme, mais une ethnopsychiatrie parmi d’autres, sans jugement de valeur, ni dimension hiérarchique. L’ethnopsychiatrie a également le mérite de s’intéresser aux différents us et coutumes, notamment face à la gestion d’un trauma, comme des sujets qui méritent d’être étudiés pour eux-mêmes, sans les considérer inférieurs aux savoirs scientifiques occidentaux.

Repenser la thérapie psychiatrique pour accompagner les personnes migrantes… 

En théorie, l’ethnopsychiatrie peut s’adresser à tout individu. En réalité, elle est beaucoup utilisée pour accompagner les personnes migrantes, notamment les mineurs isolés étrangers, pour pallier à l’inefficacité des thérapies conduites sous le prisme occidental, souvent inadapté aux contextes socio-culturels des personnes venues d’ailleurs.

La particularité d’une séance d’ethnopsychiatrie est la présence d’au moins une personne parmi les professionnels suivant le ou la patient.e qui maîtrise autant la culture et les habitudes thérapeutiques de la culture d’origine que celles de la culture d’accueil, c’est l’ethnoclinicien.ne. La langue parlée, les rituels culturels, les croyances, les engagements politiques, etc. sont d’autant d’éléments qui vont être pris en compte pour accompagner le ou la patient.e. L’ethnoclinicien.ne peut ainsi à la fois accompagner l’individu de manière plus pertinente tout en transmettant son savoir et en sensibilisant les autres professionnels de santé aux spécificités liées à l’identité culturelle de la personne aidée. Véritable traducteur.trice, l’ethnoclinicien.ne ne se contente pas de traduire les mots, iel traduit également les concepts, les idées, les croyances qui se cachent derrière ces mots. C’est d’autant plus intéressant que l’absence de mots équivalents d’une langue à une autre reflète une réalité différente et donc a fortiori un rapport au monde et à la psychiatrie également différent. 

Ici, le ou la patient.e est totalement au cœur de la thérapie, co-auteur.trice de la démarche qui sera choisie pour l’accompagner. Ainsi, iel a le droit de choisir les autres professionnels qui pourront l’accompagner tel un imam ou un guérisseur. Le patient n’est ni en dehors de la démarche, ni soumis à l’expertise des thérapeutes. Iel est également expert de part ses spécificités ethniques. 

 … et d’adapter à un monde globalisé.

Le pari de l’ethnopsychiatrie est de se dire que plus on appartient et comprend le groupe d’appartenance du ou de la patient.e, plus on arrivera à lui apporter le meilleur accompagnement, car on maîtrisera les facteurs à la frontière entre l’individuel et le collectif, entre le psychologique et le culturel. C’est aussi une pratique qui respecte des approches psychiatriques qui peuvent être sous-estimées à cause d’une vision occidentalo-centrée de la thérapie. Or, c’est plus qu’essentiel dans un monde globalisé marqué par les flux migratoires. 

Selon Tobie Nathan, figure emblématique de l’ethnopsychiatrie en France, le plus dur n’est pas de « transcrire (traduire) d’une langue dans une autre, mais de transposer une vision du monde dans une autre ». Et c’est là ou l’ethnoclinicien.ne tout comme le ou la patient.e joue un rôle clé. Un des postulats de l’ethnopsychiatrie telle qu’elle est défendue par Tobie Nathan est que le groupe socioculturel auquel appartient le ou la patient.e joue un rôle fondammental, parce que tout individu qui socialise intériorise des normes dictées par la société dont il fait partie. Le psychisme ne peut donc être dissocié du culturel.

L’ethnopsychiatire permet donc d’apporter une autre grille de lecture des troubles psychiques en prenant en considération qu’un même mal, une même situation peuvent être vécus différemment du fait d’un système de croyance, de traditions locales, d’une langue, d’une vision du monde différent. Et comprendre cela est clé pour apporter le soutien nécessaire et adapté aux personnes qui ont recours à la thérapie quelque soit leur origine.