L’asssociation Mes racines ou comment lutter contre les discriminations capillaires

I 04.03.22 I CHIGUECKY NDENGILA

Être harcelée et moquée parce qu’on porte fièrement son afro, c’est encore possible aujourd’hui. C’est d’ailleurs le harcèlement dont a été victime sa fille qui a amené Phonsia à créer l’association de lutte contre les discriminations capillaires, Mes Racines.

Le cheveu crépu, un cheveu méprisé 

« J’ai une fille qui a 14 ans aujourd’hui et qui a été victime d’harcèlement scolaire à l’école lorsqu’elle avait 8 ans. Il a fallu que j’aille voir le directeur, car elle n’acceptait plus son identité. Elle ne voulait plus retourner à l’école ». C’est parce qu’il était hors de question pour elle que les camarades de sa fille n’acceptent pas la différence que Phonsia a décidé d’agir pour combler l’inaction des institutions. Sa fille était la seule à aller à l’école avec ses cheveux naturels, la seule à les affirmer et les assumer. Un bout de son identité était perçu comme quelque chose d’étrange, légitimement source de moquerie. Cette image du cheveu crépu ne date pas d’aujourd’hui. Phonsia se rappelle que lorsqu’elle allait à l’école, elle attendait avec impatience le défrisage, comme beaucoup d’autres jeunes filles et femmes noires. Les moqueries que subissaient sa fille venaient d’ailleurs la plupart du temps de personnes également noires. De personnes qui ont intégré l’idée que le cheveu crépu est un cheveu qu’il faut cacher et dont on peut se moquer.

Les choses ont quelque peu évolué, notamment grâce au mouvement nappy, à la célébration des femmes noires via des hashtags comme #blackgirlmagic ou encore l’apparition d’influenceuses noires et des tutos sur les routines capillaires pour les cheveux afros. 

Car, le manque de connaissance des personnes noires sur leur propre cheveu joue un rôle non négligeable sur le rapport qu’elles entretiennent avec lui. »Quand on me défrisait les cheveux, c’était parce que ma belle-mère ne savait pas comment entretenir mes cheveux. Je pense que de générations en générations, si on creuse ça part de l’esclavage. Une femme noire aux cheveux crépus travaillait dans les champs de coton, la plus claire, aux cheveux défrisés ou métissés pouvait travailler dans la maison du maître. Notre cheveu devait être caché. C’est notre histoire, notre identité qui a été coupée. »

 

L’hégémonie des critères de beauté occidentaux répandus dans le monde entier a fini d’enterrer le cheveux crépus et frisés au plus bas de l’échelle du beau, de l’acceptable, du présentable.

« Je pense qu’il faut aller plus loin que le mouvement nappy. J’aimerais changer l’éducation, l’histoire, car il y a un gros fossé entre ce qu’on apprend à nos enfants à l’école et ceux qu’ils vivent une fois adultes. Un enfant a souvent envie de ressembler aux autres. Si les parents ne font pas leur travail, on en fait un super bon soldat, mais pas un homme ou une femme. Si l’école ne lui apprend pas à aimer la différence, il faut le faire à la maison. »

C’est toute une guerre pour pouvoir intégrer l’apprentissage du cheveu crépu dans les centres de formation. Beaucoup d’apprenti.es coiffeur.ses sont obligé.es de payer des formations complémentaires pour apprendre à traiter le cheveu crépu ou frisé. Et de nombreux salons de coiffures mainstream ne disposent d’aucune offre pour les cheveux non lisses, car le personnel n’a pas les compétences nécessaires.

« Aujourd’hui en 2022, la femme française c’est aussi la femme métisse, la femme maghrébine, la femme noire. Elle a aussi les cheveux crépus, bouclés, ou frisés. On ne peut pas rester focaliser sur un type de femmes. »

Crédit Photo : @math_explores

Sensibiliser et éduquer les enfants à la différence

C’est ce mépris du cheveu non lisse, en dehors de la norme, qui a créé un terreau favorable aux discriminations capillaires. »Le terme n’est pas reconnu en France. On en parle pas du tout et pourtant il y a beaucoup de victimes silencieuses. Pour moi ça a toujours existé, par exemple dans le cadre des entretiens d’embauche. C’est du racisme lié aux cheveux. Je ne vois pas d’autres termes ». C’est donc pour lutter contre ce type de discrimination que l’association Mes Racines a été créée en 2020. Elle vise à informer, sensibiliser et éduquer les enfants sur les cheveux (pas que crépus) pour leur apprendre à accepter leurs différences. Elle propose des activités périscolaires, des conférences et des événements pour visibiliser la discrimination capillaire.

@mesracines_

L’association qui cible essentiellement les écoles ne s’intéressent pas qu’au cheveu crépu ou frisé. Elle s’attaque également à d’autres types de cheveux loin des normes, comme le cheveu roux. « On devrait prendre un peu plus au sérieux cette problématique de l’identité d’une personne. J’aimerais faire des événements qui pourraient regrouper des professeurs d’histoire et parler de ça pour que les gens puissent connaître leur histoire à travers celle de leurs cheveux ».

Se réapproprier son cheveu (et son identité)

« Il y a des pays, des tribus qui gardent ces savoirs » et ces savoirs sont de plus en plus transmis et valorisés.  « Une fois que j’ai fait mon big chop en 2012, j’ai commencé à apprendre et donner ce savoir à ma fille. Je l’ai éduqué à prendre soin de ces cheveux. » Apprendre à aimer et prendre soin de ces cheveux peut sembler être un acte anodin, voir superficiel. Mais c’est en réalité un acte indispensable, devenu politique dans des sociétés où la norme et les standards de beauté poussent des personnes à dénaturer leurs cheveux. Les cheveux, tout comme la langue, sont une marque de notre identité, une trace d’un héritage culturel, familial, ethnique à préserver et transmettre.

« Mes cheveux c’est moi, c’est mon identité. J’ai un rapport vraiment fusionnel avec mes cheveux. Quand j’ai fait mon big chop, j’ai créé un rapport avec mes cheveux presque spirituel. Je suis hyper contente de voir ma fille partir à l’école avec son afro. Elle apprécie son identité malgré les moqueries, ça ne l’empêche pas d’avoir cette force de se dire : je suis moi et personne ne peut m’interdire d’être qui je suis. »

Les cheveux ont beaucoup plus d’importance qu’on ne le pense. Dans certaines cultures, des coiffures peuvent avoir des significations particulières et être portées à des occasions bien précises. Comme se le demande Phonsia, si nos cheveux ne sont pas si importants, si la question capillaire est si futile pourquoi « nous avoir présenté le défrisage, interdi de se présenter avec nos cheveux naturels ? « . A bon entendeur….

Une personnalité qui inspire Phonsia

Angela Davis, parce que la première fois que j’ai trouvé une femme magnifique avec un afro, c’était elle. 

Sa coiffure préférée ? 

Le puff, j’adore, je trouve ça mignon, propre, ça passe partout. C’est rapide.